Un jour, un texte : Karine Reysset | Le travail de la mémoire

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

 

Karine Reysset

c’est difficile le souvenir
le travail de la mémoire
ça fourmille et en même temps
c’est le trou noir

des images qui s’invitent
sans avoir été conviées
des sensations qui remontent
impression de déjà-vu

la valise des photos
qui dansent devant les yeux
grimaçantes
à force d’être souriantes
         pourquoi tout ce bonheur qui éclate ?
         À quoi ça rime ?

sauver les souvenirs
qui flottent à la surface
de l’eau boueuse de la mémoire
la partie visible de l’iceberg
et les autres enfouis
dans le soleil et la brume
la glace le givre et le coton
y plonger les doigts
tête la première
retrouver un peu de ta peau
ton odeur de lait
et cette blessure
qui m’a fissuré le cœur à jamais
et que j’ai si mal colmatée
avec du mauvais mortier
des prières
des croyances piétinées

maintenant il faut raboter
rouvrir raviver la plaie
faire une saignée
avec du sang rouge
un peu de vie qui coule
de vie qui s’en va
et recouvrir la croûte
de sel et de rires bleus

déposer de l’or
sur ma mémoire lézardée
du ciment doré
sur ces bouts de moi
qui ne se joignent pas toujours

In Une vie comme ça, © Bruno Doucey, 2025

Internet

• Wikipédia | Karine Reysset

• Éditions Bruno Doucey

Contribution de PPierre Kobel