La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Ce mois de mai 2025, les éditions Bruno Doucey fêtent leurs 15 ans d’existence. Une longue aventure que j’ai partagée depuis ses débuts par l’amitié et des collaborations. C’est l’occasion durant quelques jours de célébrer cet anniversaire en mettant le projecteur sur les livres et les auteur(e)s de cette maison, emblématique de l’engagement et de la vitalité de la poésie la plus contemporaine, de l’ouverture au monde et du souci de le préserver contre les rapaces et les destructions de toutes sortes.
Fabienne Swiatly
On n’est pas des bourgeois (extrait)
Ils sont une centaine de jeunes gens venus d’Afrique subsaharienne, rassemblés dans l’ancien collège Maurice-Scève devenu squat. Sur place, la vie s’organise malgré le froid, les coupures d’électricité, l’attaque des punaises et les tensions d’une vie commune que personne n’a choisie. La mémoire évite les souvenirs d’avant la traversée pour tenir à distance la douleur d’être si loin des siens. Mais aujourd’hui est une fête qui s’organise, musique, barbecue et visite du voisinage. Quelques jeunes filles sont venues aider. Du désir circule. L’amour n’a besoin d’aucun titre de séjour.
In On n’est pas des bourgeois, © Bruno Doucey, 2024
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François Bétremieux
Ce matin, c’est le jour de ta naissance et j’écris un poème
pour une anthologie au numéro d’urgence
cela fait quelques mois que ton absence
me confirme qu’ici tout se transforme
qu’un airbag tue, que Dieu est une guyanaise
qu’avec le SAMU, on écrit de la poésie et que
ça ressort bien, une fleur jaune sur une tombe noire
Ce matin, au balcon de l’appartement,
qui mesure moins que mon âge,
je comprends que tu es devenue
le bruit des oiseaux dans les arbres
et que notre famille se transforme en potjevleesch
des bouts de viande tenus par la gelée
des bouts de nous tenus par l’amour
il n faut pas que la vie nous laisse trop sur les frites
que l’on ne s’endorme pas trop sur les braises
sinon la gelée, ça fond
Ce matin, j’écris un poème que certains liront
le mois de tes éternels 37 ans
je pleure mais je sais que tout bouge
tout est en train d’apparaître et de disparaître
Alors promets-moi que tes nuits sont douces même si
tu ne m’appelles plus dans ce nouveau décalage horaire
promets qu’on peut laver les souvenirs et la culpabilité
comme les pierres de Notre-Dame restent blanches
grâce à la pluie grâce à mes larmes
Offre-moi ton énergie
non pour être fort mais parce que
tu as aimé la vie, qui a fait gonfler ton ventre
tu as aimé la vie, qui nous a laissé ta fille
tu as aimé la vie, comme j’aime
celle que tu ne connais pas, qui me choisit et me
donne la force d’écrire que je suis ton petit frère Louise
que je n’oublie pas ton combat
je n’oublie pas ta résistance face à la douleur
que tu murmurais quand tu voulais hurler
parce que souffrante, tu faisais encore
attention à nos oreilles
et puisque je n’oublie pas le prénom de ta douleur
je prends la force et
j’encaisse tes coups
de soleil ma sœur de pluie du village
du bout du monde
In 15 SAMU, © Bruno Doucey, 2025
Bibliographie partielle
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Éditions Bruno Doucey | 15 – Service d’Aide aux Mots Universels
Internet
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Wikipédia | Fabienne Swiatly
-
10 pages au carré | François Bétremieux
Contribution de PPierre Kobel
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