Le sac de Marianne est une pièce écrite par Jean-Louis Guitard, auteur de pièces de théâtre et aimable contributeur de La Pierre et le sel.
C'est au nom de la création que j'ai quelque chose à dire à quelqu'un affirmait, en mai 1987, le philosophe Gilles Deleuze, lors d'une conférence donnée à la Fondation Femis. Il ajoutait : un créateur, ce n'est pas un être qui travaille pour le plaisir. Un créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin.
Ni l'auteur de la pièce ni le metteur en scène et acteur, Norbert Mouyal, ne feront mentir le philosophe. Le second, ayant lu la pièce, n'a eu de cesse de la monter et de la jouer en compagnie de la pétulante Jeannine Milange.
Sous nos yeux et presque dans nos jambes, dans ce minuscule petit théâtre Darius Milhaud du 19ème arrondissement de Paris, d'anciens amants se retrouvent par hasard trente ans plus tard et voient se ranimer leur passion comme leurs défauts. Face aux occasions manquées de leur vies, ils rêvent d'avoir suivi un autre chemin.
Il n'en va pas autrement chez Musset, dans Les Caprices de Marianne, prétextes à mille esquives entre Coelio et Marianne, malgré les efforts de l'ami et parent, Octave.
COELIO, rentrant. - Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir ! Malheur à celui qui se livre à une douce rêverie avant de savoir où sa chimère le mène et s'il peut être payé de retour ! Mollement couché dans une barque, il s'éloigne peu à peu de la rive, il aperçoit au loin des plaines enchantées, de vertes prairies et le mirage léger de son Eldorado. Les vents l'entraînent en silence et, quand la réalité le réveille, il est aussi loin du but où il aspire que du rivage qu'il a quitté ; il ne peut ni poursuivre sa route ni revenir sur ses pas.
(…)
OCTAVE. - Si tu escaladais ses murs ?
COELIO. - Entre elle et moi est une muraille imaginaire que je n'ai pu escalader.
OCTAVE. - Si tu lui écrivais ?
COELIO. - Elle déchire mes lettres ou me les renvoie.
OCTAVE. - Si tu en aimais une autre ? Viens avec moi chez Rosalinde.
COELIO. - Le souffle de ma vie est à Marianne ; elle peut d'un mot de ses lèvres l'anéantir ou l'embraser. Vivre pour une autre me serait plus difficile que de mourir pour elle : ou je réussirai ou je me tuerai. Silence! la voici qui détourne la rue.
(…)
OCTAVE. - Coelio est le meilleur de mes amis ( Si je voulais vous faire envie, je vous dirais qu'il est beau comme le jour, jeune, noble, et je ne mentirais pas ; mais je ne veux que vous faire pitié, et je vous dirai qu'il est triste comme la mort, depuis le jour où il vous a vue.
MARIANNE. - Est-ce ma faute s'il est triste ?
OCTAVE. - Est-ce sa faute si vous êtes belle ? Il ne pense qu'à vous ; à toute heure il rôde autour de cette maison.
N'avez-vous jamais entendu chanter sous vos fenêtres ?
N'avez-vous jamais soulevé à minuit cette jalousie et ce rideau?
MARIANNE. - Tout le monde peut chanter le soir, et cette place appartient à tout le monde.
OCTAVE. - Tout le monde aussi peut vous aimer ; mais personne ne peut vous le dire. Quel âge avez-vous, Marianne ?
MARIANNE. - Voilà une jolie question ! et si je n'avais que dix-neuf ans, que voudriez-vous que j'en pense ?
OCTAVE. - Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix ans pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu.
(…)
COELIO. - Pourquoi donc suis-je ainsi ? n'est-ce pas une vieille maxime, parmi les libertins, que toutes les femmes se ressemblent ? Pourquoi donc y a-t-il si peu d'amours qui se ressemblent ? En vérité, je ne saurais aimer cette femme comme toi, Octave, tu l'aimerais, ou comme j'en aimerais une autre. Qu'est-ce donc pourtant que tout cela ?
Deux yeux bleus, deux lèvres vermeilles, une robe blanche et deux blanches mains. Pourquoi ce qui te rendrait joyeux et empressé, ce qui t'attirerait, toi, comme l'aiguille aimantée attire le fer, me rend-il triste et immobile ? Qui pourrait dire : ceci est gai ou triste ? La réalité n'est qu'une ombre. Appelle imagination ou folie ce qui la divinise. Alors la folie est la beauté elle-même. Chaque homme marche enveloppé d'un réseau transparent qui le couvre de la tête aux pieds : il croit voir des bois et des fleuves, des visages divins, et l'universelle nature se teint sous ses regards des nuances infinies du tissu magique. Octave ! Octave ! viens à mon secours.
(…)
MARIANNE. - Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes? voyez un peu ce qui m'arrive : il est décrété par le sort que Coelio m'aime, ou qu'il croit m'aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m'envoyer en votre personne un digne représentant chargé de me faire savoir que j'ai à aimer ledit seigneur Coelio d'ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N'est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l'heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt et faire de son nom le refrain d'une chanson à boire ?
Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu'elle, et l'homme qui lui parle, qui ose l'arrêter en place publique son livre de messe à la main, n'a-t-il pas le droit de lui dire: vous êtes une rose du Bengale sans épines et sans parfum ?
La Marianne de la pièce n'avait que du pain sec dans son sac, qu'elle destinait aux poissons du bassin. Nous ne vous dirons pas – le saurons-nous jamais – ce qu'il advint des retrouvailles avec son ex-amant. À vous de tenter l'aventure au Théâtre Darius Milhaud.
Renseignements pratiques
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Théâtre Darius Milhaud
80 allée Darius Milhaud
75019 Paris
Réservation 01 42 01 92 26 et www.theatredariusmilhaud.fr
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Tous les mardis à 21h15 jusqu'à la fin du mois de juin 2014
Bibliographie partielle
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Les caprices de Marianne d'Alphonse de Musset
Internet
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Jean-Louis Guitard sur La Pierre et le Sel
Contribution de Roselyne Fritel