Lorsque Françoise Ascal a eu l'opportunité de vivre une résidence d'écriture dans le parc de Rentilly, elle s'est sentie rapidement en prise avec la nature qui l'entourait et a entrepris un « Journal de Rentilly » sous forme d'un questionnement traversé par la relecture de Bachelard. « Refaire avec lui le trajet en direction de l'eau, de l'air, du feu, de la terre a été l'occasion d'un bonheur rare et, plus encore, d'une invitation à résister aux figures imposées, au monde tel qu'il se dessine aujourd'hui. » écrit-elle en introduction.
Au fil des saisons, ce livre relate les interrogations, les inquiétudes quant au monde : « En ce début duXXe siècle, ne sommes-nous pas nombreux, par-delà nos histoires personnelles, à percevoir en nous-mêmes « l'engramme d'une immense chute » collective ? ». Pour y répondre, il y a la nécessité de s'enraciner au monde. Voyage à travers les éléments, traverses des lectures de Bachelard dont la poétique résonne d'une actualité sans nostalgie. Bachelard quand il construit sa réflexion par un questionnement à la nature, par une ouverture au réel qui dépasse les conventions et met en regard le plus humble élément et le cosmos va dans le sens d'une sauvegarde nécessaire dont le contemporain le plus proche a besoin. C'est par sa relation sensorielle aux éléments : odeurs, toucher, vue que Françoise Ascal participe de cette sauvegarde : « Toute rêverie profonde est polysensorielle. Elle infuse de la présence. Elle construit. ». C'est par les photos qui accompagnent ce livre et par les mots parce qu' « on écrit dans la nuit, avec la nuit, contre la nuit. Naître, c'est « voir le jour ». On écrit pour voir le jour, revoir le jour, se faire naître et renaître. ».
« Par là, ce livre d’inquiétude n’est pas désespéré, et la poésie a tout son rôle dans cette résistance à l’écrasement et dans la maintenance d’une présence au monde qui ne serait pas détresse mais harmonie. » écrit Antoine Emaz dans une chronique sur Poezibao.
Si Un rêve de verticalité n'est pas un recueil de poésie, il n'en est pas moins traversé à chaque page par elle. « L’ exercice de la poésie se confond pour moi avec celui d’une recherche intérieure, d’ une quête de vérité. Dans notre société en mutation, dans laquelle la montée de l’insignifiance semble irrépressible, cela passe nécessairement par une double résistance. Résistance aux normes , aux dogmes de tous ordres, à la notion de compétitivité, aux valeurs marchandes qui prévalent aujourd’hui. Résistance à l’appauvrissement du langage, à la pollution des mots, à l’usage dévoyée de la parole. Les gouvernements fascistes le savent bien qui commencent toujours par emprisonner leurs poètes. » écrivait-elle dans un entretien avec Roselyne Fritel pour la revue Esprits poétiques de l'association Hélices poésie en 2009. Quoiqu'elle s'en défende, Françoise Ascal est poète, elle a une poétique propre à elle qui, au-delà des liens et des références, participe à la construction du monde dans une perspective d'avenir, dans le temps d'une humanité consciente d'elle-même.
Est-ce que je suis toujours vivante ?
Est-ce que vous êtes toujours vivants ?
Est-ce que…
Temps déchiré.
Vieilles images mises à mal.
Adieu les vertiges rimbaldiens, les proses proustiennes, les délires d'Artaud l'incandescent.
Nouvelle humanité.
Toujours jeune, heureuse continûment, ludique, changeant de foie comme de cœur aussi souvent que nécessaire, délivrée de son intériorité comme du sentiment de finitude.
N'aura besoin d'aucun Bachelard.
Prendre congé sans nostalgie.
Et roule l'ancienne rondeur de l'être
Loin de nos paumes nues
Vers quel nouveau destin ?
in Un rêve de verticalité, © Apogée, 2011, p.133
PPierre Kobel
"L'obscurité enveloppe ces jours clairs,
elle circule peut-être dans cette lumière dense
ici où par tâches oscillantes ou fixes
filtre de l'or et le vin mûrit."
Mario Luzi, Voix (1952), Honneur du Vrai, in : "Prémices du désert", trad Jean-Yves Masson et Antoine Fongaro, Gallimard, collection "Poésie", 2005.
Rédigé par : Pierre | 29 août 2011 à 12:45