Quelques flocons.
Le silence.
Sensation de profondeur, de calme.
Espace qu'il va falloir apprivoiser.
Temps suspendu, derrière les grandes fenêtres, temps de blancheur dans lequel je dois me glisser.
En douceur.
Ou peut-être en violence.
Je ne sais pas encore.
In Un rêve de verticalité
C'est par ces quelques mots que débute le prochain livre à paraître, chez Apogée, de Françoise Ascal : Un rêve de verticalité . Fruit d'une résidence d'écrivain, dans le Parc culturel de Rentilly, en Seine et Marne, en 2010, il se veut d'abord un journal.
Dans ce presque rien, cet espace, ce silence, l'auteur se glisse sans hâte, modeste, attentive et respectueuse, comme elle le fait toujours à chaque rencontre, à chaque échange, depuis qu'elle écrit.
Pour accentuer encore sa démarche, elle se contente d'abord de se promener, de nous entrainer avec elle dans ce somptueux parc, de le photographier en noir et blanc, dans toutes ses matières et ses formes, arbres, branches, écorces, mousses, pour mieux s'en imprégner, jusqu'à ce qu'il en naisse quelque chose qui la surprenne, elle-même.
J'irai à la rencontre des arbres.
Les saluer.
Les toucher de la paume.
Le ciel est bas, d'un gris tendre.
À moi de rejoindre le feu.
À moi d'habiter en poète ce fragment d'espace
in Un rêve de verticalité
Neuf mois s'offrent à elle, le temps d'une gestation, pour quel projet ? « Désir de transparence : voir/entendre, le fond comme la surface, ensemble. » C'est toujours le fond que vise Françoise, vers lequel, ensuite ,elle nous mène avec la rigueur, la maîtrise et l'exigence, qui lui sont propres, le fond d'elle-même, une terre ardente et généreuse, à l'image de celle qu'elle a longtemps pétrie.
Longtemps j'ai broyé du noir
pétri de mes mains
la vase des marais
la boue de mon corps
le limon des bois
Longtemps je n'ai rien vu naître
sous les pluies dissolvantes
la terre reprenait
mes modelages informes
**
Maintenant je le sais
Ma place est ici
Ici
Au sein de l'inconsolable
Je ne veux pas m'élever
Plus haut que l'herbe
Plus haut que la flamme
Attisant mes tristesses
Dans la cendre du temps
J'appartiens à la terre
Piétinée labourée
Maternelle et féconde
Absorbant les corps en silence
Les morts à foison...
extraits de Tout l'espoir n'est pas de trop - Cent-un poèmes, douze voix francophones
choisis et présentés par Bernard Ascal, © Le Temps des cerises p.112 et 116
Françoise Ascal n'est pas poète, c'est elle qui le dit. À vous d'en juger.En tout cas le chemin d'écrivain qu'elle adopte n'est pas sans haute exigence.
Dès mars 1996, dans le Carré de ciel, paru chez Apogée, elle choisit d' « écrire , non pour vivre, mais pour mieux vivre », elle accepte « d'ouvrir les fenêtres, d'entendre les grondements du monde, villes, forêts, océans, par delà les limites coutumières. »
En octobre 97, dans La Table de veille, chez le même éditeur, p.24, elle analyse avec humour sa pensée :
Une pensée élaborée sur fond de boue
fond de boue, comme fond de sauce en cuisine
Voilà d'où sont issus mes mots.
En janvier 1998, on peut lire p.27 :
Les mots. La terre des mots. Sol archaïque. Maison natale. À l'intérieur de la langue. À l'intérieur du « noir de source » dont parle Joë Bousquet. Dans le demi-sommeil, j'assiste aux labours, les mots se retournent, fument, se condensent.
Les voici devenus buée de silence...
Par magie, les mêmes mots reviendront, métamorphosés, en 2002 dans Perdre Trace, paru sous une présentation très originale chez Tipaza en 2008 :
Mots de peu de poids
au bord du silence
à peine une trace
à peine un souffle
buée de l'indicible.
En février, elle note p.37 :
comme sur un poignet. Du bout de mon crayon tâter le pouls du monde. Laisser monter en moi le sang rouge.
En avril, elle précise p.40 :
que serait ma vie sans cette pression du vouloir-être des mots ? Sans cette inquiétude permanente qui se resserre et devient injonction ? « Écris ! »
En octobre de la même année, p.48 :
Affûter ma lame.
Gagner du tranchant.
N'écrire que sur le fil.
Dans Issues, paru en 2004, toujours chez le même éditeur, elle se vit comme « un repaire de forces étrangères à elle-même » où « la langue est la maison de l'être. » mais pour cela, bien sûr :
Il faut choisir
Arpenter le pays des étangs ou la page
Écrire exige une privation .
Il faut se tenir à la table, sédentaire, enracinée, indifférente aux appels archaïques.
…
L'arpentée, c'est elle. Non les étangs du désir, non la page noircie en vain, toujours en vain.
L'arpentée est sans repos, sans possession.
Seule la table de planches mal équarries semble lui appartenir.
…
Au bord de quelque chose, toujours.
Dans l'insécurité native.
Au bord d'une compréhension. Ou d'une décision définitive.
Au bord d'une imminence.
…
Légèreté légèreté, je t'appelle
Je te donne en secret un nom d'oiseau
…
Légèreté légèreté
Je chanterai pour toi un air soufi jamais entendu
J'inventerai dans ma gorge une coulée de miel né des roseaux
un souffle sûr
porteur de messages clairs
un souffle vaste autant que ferme
sur lequel nous embarquerons
et tu m'enseigneras l'art et le savoir-ailé
Le pur-ici sans poids
la transparence cachée sous tes paupières
au centre de ton iris
de mésange de rouge-gorge de libellule de grenouille de lézard couleuvre vairon cétoine abeille grillon vanesse chat lapin chien folâtre
de ton iris de nouveau-né
un instant surpris
dans l'enchantement dérobé
du monde.
En janvier 2008, paraît Si Seulement, aux éditions Calligrammes, un ensemble de textes illustrant les dessins de visages, aux yeux clos, du peintre Alexandre Hollan :
sous le masque
un autre masque
plus fragile plus blanc
peau toujours plus fine
plus transparente
en voie d'effacement
mue de chrysalide
pour quelle naissance
improbable ?
**
j'avance vers toi
chargée d'offrande
entre mes paumes
le silence
d'une coupe de neige
**
venu d'un âge oublié
un miel de nuit
baigne ton front
défroisse ta mort
apaisé
tu entres dans la ruche
**
En janvier 2009 parait Rouge Rothko, aux éditions Apogée, Françoise choisit d'écrire à propos de cartes postales représentant des tableaux qu'elle a vus et aimés ; en voici quelques extraits :
page 36
Densité effrayante et pourtant calme.
Trou de silence et d'oubli.
Pas de vent.
Pas d'oiseaux.
Pas la moindre ride sur la surface-miroir dans laquelle Icare s'enfonce, tête la première.
Page 43
Dans le siècle dévasté
qui ose entendre
la vieille musique des sphères ?
Nos paroles de nuit
tournoient-elles encore
entre nos hanches disjointes ?
Voici la lune et voici le souffle
voici le bleu du soir et l'été des vivants
voici la valse et l'étreinte
page 49
Les pieds s'allègent
la boue n'existe plus qu'en songe
et déjà le corps entre en métamorphose
s'élève en torche
pages 55 et 56
Qu'enfin tombe en cendres le trop qui m'entrave
Qu'enfin s'ouvre l'au-delà caché derrière l'iris.
…..
Jouer ?
Jouer à en perdre haleine ?
Jouer très sérieusement.
Monter descendre monter descendre, de haut en bas et de bas en haut, vite, de plus en plus vite, de plus en plus abandonnée, de plus en plus confiante, comme un derviche cherchant l'extase, comme le poète Rumi chantant les atomes de l'univers, ivre du « Soleil de Tabriz ».
Votre tableau est un « Soleil de Tabriz ».
J'attends qu'il me consume.
Au terme de ce voyage poétique dans l’œuvre de Françoise Ascal, puissiez vous, amis lecteurs, à son invite,
Être là, tout simplement.
Dans cette poignante réalité .
Dans le cercle des pavots, comme autant de lampes allumées .
Avec la douleur au cœur de soi
Telle une amande fendue par quelque lame.
In Le Carré du ciel, © Apogée 2006, p.156
Biographie
Françoise Ascal est née en 1944 à Villemomble (Seine-Saint-Denis). Sa famille paternelle est originaire de Franche-Comté et elle a passé ses vacances d'enfance sur le plateau de Mille-Étangs y puisant les sources de son imaginaire et construisant son rapport à la nature. Elle garde des attaches profondes en Haute-Saône où elle séjourne régulièrement.
Elle se consacre à la poterie et au modelage. Elle ouvre quelques années plus tard un atelier artisanal de poterie qui sera son activité essentielle jusque dans les années 80.
Mariée en 1965 avec Bernard Ascal, artiste-peintre, poète, auteur compositeur interprète et directeur de la collection Poètes & Chansons chez EPM, elle est aussi la mère du musicien Gaël Ascal.
En 1975, elle quitte la banlieue parisienne pour s'installer dans un petit village de Seine-et-Marne.
Elle crée un atelier d'expression plastique dans un Centre de soins pour adolescents malades ou handicapés. Elle devient en 1982 formatrice à l'école d'élèves infirmières de Maison-Blanche, à Neuilly-sur-Marne.
Elle écrit et publie à partir des années 80. En 1985 paraît son premier recueil, Le Pré, aux Éditions Atelier La Feugraie. Elle publiera ensuite chez le même éditeur et d'autres comme Paroles d'Aube, Cirrus et Calligrammes ou Apogée depuis quelques années.
En 1986, elle commence une initiation à la calligraphie arabe avec Ghani Alani dont naîtra Le sentier des signes. Elle participe avec ses dessins, collages et encres de Chine à des expositions collectives jusqu'en 1995.
Elle a reçu une bourse de création du C.N.L. et a été invitée à diverses reprises en résidence d’écriture ainsi qu'à des festivals. La femme de rencontres qu'elle est y a toujours trouvé l'occasion d'aller vers autrui, d'établir des collaborations avec d'autres artistes pour des livres d'artistes, des lectures et de mettre en relation ces derniers.
Internet
- Bibliographie complète sur Wikipedia
- La page qui lui est consacrée sur le site du Centre régional des lettres de Franche-Comté
- Remue.net : Françoise Ascal au Parc culturel de Rentilly
Contribution de Roselyne Fritel
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