Ce petit livre publié en 2007 par les éditions Arléa, est la transcription d’un entretien accordé en 1988 par Ph. Jaccottet à R. A. Chalard, professeur d’université. Entre autres sujets abordés dans cet interview, il est question de la traduction, discipline qu’il a beaucoup pratiquée à une certaine époque, par goût et aussi comme gagne-pain, de l’image en poésie et de la distinction à effectuer à son propos entre l’apparence des choses et leur image poétique, de sa longue amitié avec Francis Ponge, en dépit, parfois, de leurs divergences en matière d’écriture, et plus globalement sur ce qu’est pour lui la poésie, le moteur principal du désir d’écriture poétique étant pour lui une émotion inspiratrice.
Il faut donc, pour qu’il y ait poème, que cet empilage de mots ait été construit par le poète à partir d’une émotion de départ, et comme il le dit: « s’il n’y a pas initialement émotion devant quoi que ce soit, il ne peut y avoir, il n’y a aucun mouvement vers le poème» p.23
À ce propos, il dit encore :« Si les choses ne viennent pas vite et facilement, elles ne viennent jamais, et m’acharner dessus ne fait que les gâcher. »p.40
Et il ajoute: « Un poème ce n’est que des mots. En apparence, il n’y a aucune différence entre un poème où il y a quelque chose à l’intérieur et un autre…là, c’est vraiment mystérieux. » p.42
Ce matériau de base que sont les mots, l’auteur doit en faire un ensemble sensible et imagé, « le problème étant de trouver au moins les termes de comparaison qui sont le moins éloignés de l’émotion qui a fait naître le poème » p.31
Mais il doit s’efforcer, autant que possible, d’éviter de trop encombrer le poème avec des images, la quintessence poétique, pour lui, étant représentée par le haïku, concentré de légèreté et de transparence, qu’il connaît bien pour en avoir fait, à l’époque, de nombreuses traductions, à partir de l’anglais.
Il y a, dit-il encore, entre l’écriture poétique et la musique, des similitudes de création et d’écoute, et « pour la musique, c’est encore plus purement sensible, parce que pour les mots il y a toujours les mots, leur sens… Mais dans l’émotion de la musique il y a une vibration profonde ».p.33
Et il aborde, enfin, la question du sacré dans sa poésie, sans que le terme ait, pour lui, une connotation religieuse, mais simplement, dans son contact avec la nature, un certain sens du mystère, de l’inconnu et de cette vie têtue qui, obstinément, disparaît pour renaître.
Soit donc pour résumer son propos, il ne s’agit, au départ, que d’un jeu avec les mots, et le poème risque fort d’être stérile. Soit ces mots sont habités par l’inspiration de l’auteur, générant à travers eux ce sentiment diffus de surprise qui, pour le lecteur du poème sera à son tour, source d’émotion. Il y a donc, celle de l’auteur, et enfin, celle du lecteur. Les mots, vus sous cet angle, sont alors, en effet, plus qu’un assemblage mécanique mais des transmetteurs d’émotions.
C’est pourquoi on a tant de mal à donner de la poésie une définition globale, puisqu’elle est tributaire, pour exister, de la façon dont l’auteur a su agencer les mots pour faire passer son émotion, et de la sensibilité personnelle de chaque lecteur. Certains seront touchés et d’autres indifférents, sans que l’appréciation porté par l’un ou l’autre lecteur permette d’en tirer un jugement d’ensemble. Ce n’est donc qu’après un certain nombre d’appréciations positives qu’un texte pourra être reconnu comme poème à part entière.
C’est dire la relativité qualitative des jugements portés sur les poètes de leur vivant quand on pense à l’audience squelettique qui est généralement la leur. Il arrive pourtant parfois, avec le temps et quelques coups de cymbale, qu’une œuvre fasse un chemin posthume vers la consécration.
Philippe Jaccottet, poète majeur a su, lui, être reconnu et trouver une importante audience de son vivant. Né en Suisse en 1925, il a occupé, quelques temps, à Paris un emploi chez l’éditeur suisse Mermod. Il vit depuis de nombreuses années à Grignan, dans la Drôme. Auteur d’un important travail de traductions, notamment d’Homère, Gongora, Hölderlin, Rilke, Musil et Ungaretti, il est surtout à la tête d’une œuvre poétique de premier plan, dont la plupart des volumes ont été publiés chez Gallimard.
Entre autres : en 1997, Paysages avec figures absentes , et 2001, Poésie, de 1946 à 1967.
Une semaison de larmes
sur le visage changé,
la scintillante saison
des rivières dérangées :
chagrin qui creuse la terre
L’âge regarde la neige
s’éloigner sur les montagnes
in Airs, « Poésie », Gallimard collection Poésie, p. 96
***
Dans l’herbe à l’hiver survivant
ces ombres moins pesantes qu’elle,
des timides bois patients
sont la discrète, la fidèle,
l’encore imperceptible mort
Toujours dans le jour tournant
ce vol autour de nos corps
Toujours dans le champ du jour
Ces tombes d’ardoise bleue
in Airs, « Poésie », Poésie/Gallimard, p. 97
***
Autrefois
moi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine,
me couvrant d’images les yeux,
j’ai prétendu guider mourants et morts.
Moi, poète abrité,
épargné, souffrant à peine,
j’osais tracer des routes dans le gouffre.
À présent, lampe soufflée,
main plus errante, tremblante,
je recommence lentement dans l’air.
In Leçons, « Poésie », Poésie/Gallimard, p.160
Internet
- Sur Wikipedia
- Jean-Michel Maulpoix, Sur l’œuvre de Jaccottet
- Sur Esprits nomades
- Une page très documentée sur le site Cultur@ctif Suisse
Une contribution de Jean Gédéon
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