Gilberte Herstchel naît en 1918. Elle signera ses poèmes, Gilberte H. Dallas. Dès l’enfance elle se retrouve orpheline de père et de mère. Ce départ tragique dans l’existence sera la clef de toute son œuvre. Anne Clancier écrit : « La quête de la mère morte est, chez Dallas, particulièrement obsédante et angoissante. » Elle manifeste très tôt des dons artistiques. C’est une fillette déjà amoureuse de poésie capable de dessiner, de peindre, d’interpréter des scènes de théâtre classique étudiées à l’école. À la fin de ses études secondaires, après quelques années passées à l’école des Arts Appliqués, et après avoir suivi en parallèle des cours d’art dramatique, elle joue à la Michodière dans le Sexe Faible d’Edouard Bourdet. Elle est ensuite engagée dans la troupe de Louis Jouvet, à l’Athénée, où elle interprète quelques rôles, en particulier dans Ondine de Jean Giraudoux.
Pendant la guerre 1939/1945, Louis Jouvet part avec sa troupe en Amérique du Sud. Gilberte ne le suivra pas. Après la guerre, et à la suite d’autres drames familiaux, Gilberte se jette dans la création comme dans un combat : elle se met à écrire, mais également à peindre. Elle est un peintre « fou de couleurs » qui l’apparente aux Fauves. Malheureusement de tous ces tableaux, seul « un Clown triste » donné à une amie sera préservé, (un marchand indélicat à qui Gilberte avait confié ses toiles disparaîtra avec elles).
Dans les années 1951/1952, elle se met à écrire des centaines de pages où se succèdent, rêves et fantasmes poétiques. « C'est une poésie brûlante et tragique, viscérale, poésie du corps féminin en métamorphose vers le monstre ou la folie végétale jusqu'à la désagrégation ou la pourriture comme dans certains films de terreur et de science-fiction ou dans les souvenirs mythologiques en ce qu'ils ont de plus fantastique. » écrit Robert Sabatier (La poésie du vingtième siècle, 3- Métamorphoses et modernité, © Albin Michel, 1988, p.452) En 1952, Pierre Seghers publie Alphabet de Soleils, son premier et ultime recueil. On y retrouve dans toute sa splendeur son imagination cosmique, où l’eau, la terre et le ciel sont les thèmes majeurs. L’eau symbole maternel, le soleil symbole paternel, les deux grands mythes de l’inconscient collectif s’y trouvent réunis. Alphabet de soleils est à la fois « signes premiers d’une écriture, et l’expression d’un testament ». Car au retour d’un voyage en Océanie, Gilberte décède à Paris en 1960 et est inhumée au cimetière Montparnasse. Pierre Seghers aura sauvé de l’oubli la poésie de cette artiste ardente et passionnée…
L’agate au cœur de convolvulacée
l’agate de cristal au cœur de corbeau
au cœur de coudrier,
au cœur de crépon,
au cœur de crédo,
au cœur de colchique,
l’agate est brisée,
L’agate est brisée, l’agate est brisée,
un camion-citerne l’a tuée,
l’a réduite en postillons,
l’a réduite à sa brûlure,
et toute ma vie est là
sur ce pavé de plumes de moineaux,
toute ma vie dans cette escarcelle où une larme
est plus lourde que l’aurore.
L’agate est brisée, l’agate est brisée.
*
Une femme qui marche
Les seins nus vers l’essaim
Du soleil
Sa croupe jaune
La croûte du pain qui croque
….
Une femme qui marche cuisses nues
Ce sont de belles cuisses bien longues
Et bien belles comme
Ces cônes de sucre d’autrefois
Du beau sucre qui crisse
*
Je cueillerai un bouquet de nausées dans la fraîcheur velue de l’aube avant d’être cendre au ventre du taureau.
Ah le goût de la nausée emplissant mes paumes comme une avoine de plomb.
*
Les ancolies d’ébène guettent la mourante
dévorée par la pluie
Les rues la serrent
l’enlacent
Elle marche dans la jungle de béton
Elle tend son corps comme une phrase délavée.
Elle titube celle qui aurait pu être ma mère
Elle titube la mère qui n’a pas de ventre,
En sa place mes yeux agrandis,
Deux yeux immenses deux glands desséchés
Greffe de la mort
Pauvre mère stérile berce dans ta chair
Mes yeux d’enfant perdu
Mes yeux comme une herbe qui mâche l’épouvante
Mes yeux d’extra lucide
Pauvre loque de sel !
Mes yeux de boue et de lumière
Et toi tu marches, tu marches dévorée de pluie,
et me cherches,
Moi qui suis là, incrustée en toi.
in Alphabet de Soleils
Bibliographie
- Alphabet de Soleils, collection PS, n°167, © Seghers, 1952
- Pierre Seghers, Poètes maudits d'aujourd'hui 1946-1970, Gilberte H. Dallas par Anne Clancier pp. 39-59, © Seghers, 1972
Internet
- Sur Wikipedia (anglais)
Contribution de Hélène Millien
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