Depuis quelques temps, il est souvent question, dans les médias, des problèmes négatifs liés à l’immigration, sans que presque jamais ils ne fassent allusion aux réussites de l’intégration.
Et pourtant, nombreux sont les étrangers qui ont réussi à se fondre dans la société française, à y faire jouer leurs talents, chacun à son niveau, notamment sur le plan artistique et enrichir ainsi notre patrimoine.
Il en est un, particulièrement, qui peut servir d’exemple à ce sujet : il s’appelle François Cheng.
Né en Chine en 1929, dans une famille de lettrés, et après ses étude universitaires à Nankin, il est arrivé en France en 1949. Confronté à une culture aux antipodes de la sienne, il a eu des débuts très difficiles. Il a appris le français, s’est inscrit à l’Alliance française, puis a suivi les cours de la Sorbonne, ceux de l’École Pratique des hautes Études, et a occupé par la suite une chaire de professeur à l’Institut national des langues et civilisation orientales.
À la fois romancier, poète et calligraphe, il est devenu un écrivain français à part entière. Auteur de deux romans, dont le premier, intitulé « Le dit de Tanyi » a reçu le prix Femina en 1998, il a, en outre, publié de nombreux essais, traductions, et livres d’art.
Par ailleurs, poète de talent, il est l’auteur de nombreux recueils dont cinq d’entre eux ont été réunis dans une anthologie publiée en 2005, dans la collection Poésie/Gallimard, sous le titre « À l’orient de tout ».
Son écriture poétique conjuguant ses deux cultures recherche la musicalité des mots et trouve son inspiration, outre en lui-même, dans la nature et tous ses états comme il est de règle dans le haïku.
Suivre le poisson, suivre l’oiseau.
Si tu envies leur erre, suis-les
Jusqu’au bout. Suivre leur vol, suivre
Leur nage, jusqu'à devenir
Rien. Rien que le bleu d’où un jour
A surgi l’ardente métamorphose,
Le désir même de nage, de vol.
In Cantos toscans, à l’orient de tout, Gallimard, p.147
***
La sente sinueuse
au travers des pins
Pourquoi l’avons-nous choisie
L’autre, plus droite
mènerait à l’étang, dit-on
Ici au tournant
Une taupe a traversé le sable
brûlant de traces de sang
Un rien a donc été là
Un rien a donc disparu
L’heure grave, grosse de mémoire
Se creuse d’odeurs d’écorces craquelées
De bourdonnements de mouche
éternisant soif et faim
Là-bas
Hors de l’écran de lumière
Défilent les années fleuries
-long troupeau de transhumance-
Leur pas résonne dans la vallée
Que disperse de loin en loin
un faucon taciturne
Pourquoi tant d’égarements
Pourquoi tant de nostalgie
Pourquoi au travers des pins
L’avons-nous choisie
Cette sente
qui s’arrête à mi-chemin
in le long d’un amour, à l’orient de tout, Gallimard, p. 201
***
À l’extrême de l’automne
Nous parviendra encore
mêlé de mousse et de lilas
L’écho de la cascade
Ravivant le sang
ravivant le chant
Au creux de la roche fêlée
In double chant, à l’orient de tout, Gallimard, p. 54
***
Apprends-nous nuit
À toucher le fond
À gagner
le non-lieu
Où sel et gel
échangent leurs songes
où source et vent
Refont un
In qui dira notre nuit, à l’orient de tout, Gallimard, p.219
Contribution de Jean Gédéon
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