S'il est, après une reconnaissance tardive, considéré aujourd'hui comme une référence de l'écrivain-voyageur, Nicolas Bouvier a toujours fréquenté les poètes tels Michaux, Segalen, Cendrars, Vladimir Holan ou Nerval. Il n'a publié qu'un seul recueil de poèmes, Le Dehors et le Dedans mais toute son œuvre est empreinte de poésie.
Pierre Starobinski écrit : « Rencontrer Nicolas Bouvier à travers son écriture, ses photographies, ses enregistrements, sa poésie, ses regards, c’est être confronté à une fantastique présence au monde, une sensibilité à l’autre hors du commun, une relation au temps où la minute peut valoir l’heure, où nos repères sont feuilles au vent. Son regard limpide vous traverse, saisit toujours l’essentiel et vous fait comprendre, par l’attention qu’il vous porte, que vous êtes au centre de tout ce qui l’occupe: la rencontre. »
Les Indes galantes
Nombril du continent
Poumon léger du monde et poussière douce au pied
Cette route a beaucoup pour elle
dans tous les axes de la boussole
c’est l’espace et l’éternité
savanes couleur de cuir
vautours en rond dans le ciel cannelle
villages verts autour d’une flaque
dieux érectiles couverts de minium
et de papier d’argent
cités croulantes, tarabiscotées
et regards qui croisent le tien
jusqu’à l’écœurement
Tu te pousses à petite allure
un mois passe comme rien
tu consultes la carte
pour voir où t’a mené la dérive du voyage
deltas verts pâles comme des paumes ouvertes
plissements bruns des hauts plateaux
les petits cigares noués d’un fil rouge
ne coûtent que cinq annas la botte
où irons-nous demain ?
À la gare de Bezwada
tu as dormi sur un banc
tu sentais dans tes reins le poids de la journée
des quatre coins de la nuit les locomotives
arrivaient
en meuglant comme des navires
paraphes de nacre sur les eucalyptus
La lune montante était si pleine
et la vie devenue si fine
qu’il n’était ce soir-là
plus d’autre perfection que dans la mort
Sholapur, Inde centrale – Genève, 1978
In Œuvres, Le Dehors et le Dedans, p.834 – © Gallimard, 2004
*
Hommage à la géographie ancienne
Cartulaire de mon cœur
paroles du monde ancien
vieux mots usés et sages
qui pour un temps m’aviez fait compagnie
et si souvent porté secours
d’où me revenez-vous ce soir ?
bourdonnants, suspendus à mon cou
flammèches ou abeilles
sur l’étole du prélat défroqué
Mots du secret, du souci et de l’ombre
murmures, portée de rats, fourrure du souvenir
frileusement nichés sur mes genoux
que d’anxiété dans ces brillantes prunelles
qu’attendez-vous encore de moi ?
voilà si longtemps que nous nous sommes quittés
Il fait noir dans la cuisine
un peu d’alcool brille au fond du verre
tu te tais alors qu’il faudrait que tu hurles
Judas des mots
et tu n’as pas fini de payer ton silence
Genève, hiver 1977
In Œuvres, Le Dehors et le Dedans, p.865 – © Gallimard, 2004
Bibliographie
- Le dehors et le dedans : Poèmes, © Points/Poésie, 2007
- L'oeil du voyageur, © hoebëke, 2008
- François Laut, Nicolas Bouvier : L'oeil qui écrit, © Payot, 2007
Internet
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Sur Wikipedia
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Archives de la Télévision suisse romande
- Sur le site Esprits nomades
PPierre Kobel
Sur les conseils éclairés de Françoise Ascal, j'ouvre votre "blog de passeur" de poésie et mon premier écho s'intitule, par antiphrase il faut croire...
CAVALIER SEUL
J'ai failli ne pas ouvrir les volets ce matin, les lourds volets de bois qui symbolisent la fin, puis le début d'un autre jour.
Vivre fatigue* parfois, avec ses gourdins, la danse des imbéciles et des puissants qui vous crachent leur arrogance au visage, en faisant semblant de vous chanter la messe cathodique.
Vivre appelle silence, immobilité, douceur contre les plaies.
Et puis, en lisant**,en passant d'un saxo de New York qui joue Perdido street blues à un chant de loriot du Japon, en méditant aussi sur ces choses et autres, rencontrées sur l'itinéraire singulier de nos vies, comme un claquement de langue involontaire, se sont ouverts les volets, les lourds volets lavande.
Les arbres se sont remis à vivre, un train passait là-bas et, à l'horizon, la rangée de lumières d'un tanker me rappelait que l'on ne fait jamais cavalier seul...
Jean-Jacques Dorio
* Jean Claude Izzo ** Nicolas Bouvier (Le dehors et le dedans)
Rédigé par : jean jacques dorio | 27 août 2011 à 02:25