Les indiens d’Amérique sont porteurs de richesses diamétralement opposées à celles qui prévalent chez le peuple qui les a asservis et pour lequel l’accumulation de richesses matérielles constitue la seule norme sociale enviable.
Chez les navajos, par exemple, regroupés dans la plus grande réserve des États-Unis sur un territoire de 69.000 kilomètres carrés, on a le culte de la tradition, de la coopération, et du respect des anciens, ainsi que celui de la nature mère prise dans sa globalité, humaine, animale et végétale. A la quête du toujours plus de l’American Dream, ils préfèrent celle de l’Hozho qui signifie beauté, harmonie et santé. Cette éthique imprègne chacun des rouages de leur société, de la guérison des maladies à la résolution des conflits. Et elle explique aussi la richesse de leur poésie.
Chant des délices de Tsai-Talee
Je suis une plume dans la clarté du ciel
Je suis le cheval bleu qui court dans la plaine
Je suis le poisson qui tourne et brille dans l'eau
Je suis l'ombre que projette un enfant
Je suis la lumière du soir, l'éclat des prairies
Je suis un aigle qui joue avec le vent
Je suis un nœud de grains luisants
Je suis l'étoile la plus éloignée
Je suis le froid de l'aurore
Je suis le rugissement de la pluie
Je suis le scintillement de la croûte de neige
Je suis la longue trace de la lune sur le lac
Je suis une flamme de quatre couleurs
Je suis un champ de sumac et la pomme blanche
Je suis l'angle des oies sauvages dans le ciel d'hiver
Je suis la faim du loup
Je suis le rêve entier de ces choses
Vois-tu, je suis vivant, je suis vivant
J'ai bonne entente avec la terre
J'ai bonne entente avec les dieux
J'ai bonne entente avec tout ce qui est beau
J'ai bonne entente avec la fille de Tsen-tainte
Vois-tu je suis vivant, je suis vivant
N.Scott Momaday/tribu Kiowa
La prière de Geronimo
Ô Nature, ma Mère,
Qu’ont-ils fait de notre Terre !
A tort, ils se sont pris pour des Dieux
Leurs cœurs sont devenus haineux.
Dominés et motivés par l’argent,
Ils détruisent la pureté des Océans.
Les rivières aujourd’hui troublées,
Déversent dans la mer leurs amas de saletés.
Ô Nature, ma Mère,
Qu’ont-ils fait de notre Terre !
Aveuglés par une technologie dévastatrice,
Ils sont incapables de trouver les idées salvatrices.
Des somptueuses Forêts Anciennes et Equilibrées,
Il ne subsiste aujourd’hui que quelques morceaux éparpillés.
L’air pur et frais que nos Ancêtres respiraient,
Ne se trouve encore que sur les plus hauts sommets.
Ô Nature, ma Mère,
Qu’ont-ils fait de notre Terre !
Du contrôle des Espèces ils se vantent,
Afin que jamais le remords ne les hante.
De nombreux Animaux à jamais disparaissent,
Afin que eux, en nombre et en bêtise, ils ne progressent.
La Banquise d’hier, sous son infinie blancheur,
Ne reflète aujourd’hui plus aucune lueur.
Ô Nature, ma Mère, je t’en conjure,
Montre leur le chemin du futur.
Je ne suis moi-même qu’un Homme comme les autres,
Même si près de toi je me veux leur Apôtre.
Capable d’Amour et de Compréhension, ils le sont j’en suis certain,
Il leur suffit juste de comprendre que leur Avenir est incertain.
Montre leur le chemin vers la Raison,
Et ils s’ouvriront vers de nouveaux Horizons.
Geronimo
Quand le dernier arbre
Aura été abattu
Quand la dernière rivière
Aura été empoisonnée
Quand le dernier poisson
Aura été pêché
Alors on saura que
L’argent ne se mange pas
Go Khia Yeh dit Geronimo
***
Entendait-les -écureuils
Il s’interrompait aussitôt au milieu
d’une phrase, s’il entendait
des bruits d’écureuil.
Et il savait sous quel arbre attendre
les écureuils. Même s’il sortait
dans l’obscurité
il savait quel arbre se ferait entendre
avant que les écureuils y soient arrivés !
Je me souviendrai toujours de cela, incompréhensible
aussi aux autres : il s’arrêtait de pagayer
presque au centre d’un lac à poissons
pour écouter. En silence. Il ne parlait pas du tout
simplement il se rongeait les doigts
avec ses dents
pour me prévenir qu’il avait entendu un écureuil.
Je savais qu’il souhaitait que les os de ses doigts
fussent des noisettes !
À cette distance dans le lac je pouvais bien entendre
s’égoutter les pagaies
mais nul bruit d’écureuil.
Cependant je voyais un écureuil s’éveiller
dans son visage, chaque fois que cela arrivait.
Poème-nom, Cree
Ce dernier texte in Partition rouge de Florence Delay/Jacques Roubaud – © Seuil
Illustrations : photos Edward S. Curtis
Bibliographie
- Collectif, Anthologie de la poésie amérindienne, © Temps des cerises / Maison de la poésie Rhône-Alpes, Bacchanales n°42, 2008
- Un numéro des Cahiers de l'Amourier consacré à la poésie amérindienne par Béatrice Machet en 1999
- Florence Delay/Jacques Roubaud, Partition rouge, © Seuil, Points Poésie, 2007 (édition originale en 1988)
- Anthologie de Jerome Rothenberg, Les Techniciens du sacré, version française établie par Yves di Manno, © José Corti, 2007
On peut lire à propos de ce livre important, une recension établie par Florence Trocmé sur Poezibao
Internet
Beaucoup de ressources internet sur la poésie amérindienne mais dans un certain désordre. Nous signalons quelques adresses particulièrement intéressantes.
- Sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), un article de Pierrette Diésy à propos de l'Ethnopoétique amérindienne
- À l'heure de la rentrée scolaire sur le site Pirouettes, des légendes indiennes pour les enseignants conteurs
Contribution de Jean Gédéon et PPierre Kobel
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