À l'heure où se multiplient les scandales et autres affaires douteuses qui tirent la politique vers le bas et montrent de nombreux membres de son personnel sous le dehors le plus détestable à force d'hypocrisie et de langue de bois, un extrait de Agrippa d'Aubigné avec la violence rugueuse et la force de la langue qui sont les siennes.
(…)
C'est pourquoi vous voyez sur la borne de France
Passer à grands trésors cette chiche substance
Qu'on a tiré du peuple au milieu de ses pleurs.
Français, qui entretiens et gardes tes voleurs,
Tu sens bien ces douleurs, mais ton esprit n'excède
Le sentiment du mal pour trouver le remède ;
Le conseil de ton Roi est un bois arrangé
De familiers brigands où tu es égorgé.
Encor ce mol tyran, aux Français redoutable,
Qui s'est lié les poings pour être misérable,
Te fait prendre le fer pour garder tes bourreaux,
Inventeurs de tes maux journellement nouveaux.
Au conseil de ton Roi, ces points encore on pense
De te tromper toujours d'une vaine espérance ;
On machine le meurtre et le poison de ceux
Qui voudraient bien chasser les loups ingénieux ;
On traite des moyens de donner récompense
Aux maquereaux des Rois, et, avant la sentence,
On confisque le bien au riche, de qui l'or
Sert en même façon du membre de castor ;
On reconnaît encore les bourreaux homicides,
Les verges des tyrans aux dépens des subsides,
Sans honte et sans repos, les serfs plus abaissés,
Humbles pour dominer, se trouvent avancés
A servir, adorer. Une autre bande encore,
C'est le conseil sacré qui la France dévore.
Ce conseil est mêlé de putains et garçons,
Qui, doublant et triplant en nouvelles façons
Leur plaisir abruti du faix de leurs ordures,
Jettent sur tout conseil leurs sentences impures.
Tous veillent pour nourrir cet infâme trafic,
Cependant que ceux-là qui, pour le bien public,
Veillent à l'équité, défendent la justice,
Etablissent les lois, conservent la police,
Pour n'être des malheurs coupables artisans,
Et pour n'avoir vendu leur âme aux courtisans,
Sont punis à la Cour, et leur dure sentence
Sent le poix inégal d'une injuste balance.
in Les Tragiques, Livre II Princes, © Poésie/Gallimard, 1995, p.131-132, vers 561-598
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