Naissance en 1913, à Poitiers, dans une famille ouvrière. Décès en 2004.
Entre ces deux dates, une existence professionnelle bien remplie et un riche parcours poétique concrétisé par une quarantaine de recueils publiés, pour l’essentiel, chez Seghers et Rougerie.
Licence en droit, devient commissaire de police à Nantes, participe activement à la résistance, puis, dès la Libération décide de vivre de sa plume en devenant journaliste littéraire, et ainsi que l’a écrit Robert Sabatier, « il sera présent sur tous les fronts, partout où il s’agit de défendre une idée de la poésie et de l’homme. » Il fait ses débuts dans l'hebdomadaire Gavroche, collabore aux Lettres françaises et sera le chroniqueur de la poésie aux Nouvelles Littéraires.
Il fut l’un des premiers à se joindre, en 1941, au mouvement de l’École de Rochefort. « J’y trouvai, dit-il, affection et émulation, opposition commune à Vichy et à l’Occupant, pas de programme commun mais un grand respect de nos devanciers surréalistes et une forte admiration partagée pour Reverdy et Max Jacob. » Max Jacob qui disait de Rousselot que c'est le seul qui écrive avec ses reins.
Sa poésie dont il utilise techniquement toutes les ressources, se caractérise par une humanité profonde tenant compte des aspirations charnelles et spirituelles de l’homme et de son souci de justice sociale.
Bernard Mazo qui l’a interviewé pour la revue Poésie 1 (n° 12, décembre 1997) le définit ainsi : « Jean Rousselot est, par excellence, de ces poètes pour qui la poésie est le sismographe inspiré des grandes scansions de l’homme, le vecteur sensible de ses espoirs, de ses doutes, de ses angoisses, du questionnement multimillénaire que l’humanité, en quête de sens, adresse à un univers énigmatique. La vie, la mort, l’écoulement du temps, la beauté pathétique du monde, ce sont là les thèmes éternels que l’on retrouve dans cette écriture lancée à la poursuite de l’indicible tout en demeurant profondément et viscéralement enracinés dans notre quotidien. ».
Jean Rousselot fut par ailleurs un infatigable passeur et sa grande générosité le conduisit toujours à être attentif aux autres, particulièrement les plus jeunes que lui, à leur prodiguer conseils amicaux et à les soutenir.
1
…et s’en vint à nous l’écriture
à la fois solfège et musique
soleil et gnomon
jusqu’alors accaparée
tels les chaumes qu’on brûle
pour affamer alouettes et glaneuses
par de hautains feudataires
ou des moralistes châtrés
Désormais pas d’autres raisons d’être
y compris révolte, compassion
dévergondage, dénuement
inaptitude au sacré avec ou sans sucre
que cette perpétuelle redoublante
acharnée à ne pas entendre
les questions sans réponse
qui sont le propre de l’homme.
2
Interdits de séjour
dans les jardins suspendus
de l’inconnaissable
nous nous accommodons
de vivre à petit feu
jamais en retard à la distribution des nèfles
ou à la chasse au Dahu
Seul luxe
Ne nous travailler l’âme que dans le sens du bois
Seul espoir
Exister un peu plus que nécessaire.
3
J’aurai vécu
comme on compterait sans ouvrir les yeux
la menue monnaie du silence
agacé autant que Nietzsche
par le tic-tac des lois et le tic-tac des montres
mais rassuré de loin en loin
par un braiment particulièrement tragique
ou le tintement d’une étoile
sur la tôle des apories
Poèmes inédits in Poésie1, n° 12, décembre 1997, entretien Bernard Mazo/Jean Rousselot
****
Juin
(Extrait)
À Gabriel Audisio
Deux pierres scellées,
Une main de suie,
La treille brûlée,
Un bras qui supplie…
Du fond des temps, la Mort aspirait la Démence.
Contre ses dents serrées écumaient les plateaux.
Les routes, les enclos barbouillés de romance
Tournoyaient à la grille ainsi que des couteaux.
Fracassés, l'os à nu, barbelés de racines,
De sources éclatées, de coutres importuns,
Infernal quel typhon, de sa poigne d'airain,
Les matait, les pressait, les poussait dans l'abîme ?
Quel ange, sans trompette et sans drapés pesants,
Avait posé le pied sur les terriers de glaise,
Les chaumes ébréchés qu'épellent les faisans,
Les couchants qu'une vitre accroche à la cimaise
Et, sitôt descendu dans la vieille chaleur
Qui plaque notre souffle au flanc roux de la terre,
Fouillant comme l'on fouille au hasard des viscères.
Avait tranché le chanvre, invisible au haleur,
Qui depuis toujours noue aux vignes les herbages,
Le chemin qui chevrote au tartre des villages,
Le côtre à l'aventure aux marges du jusant,
Les pavois de l'automne aux seigles frémissants,
Et fait soudain la nuit sur une forcerie
Où l'homme était le cerf et l'ange la furie ?
(…)
Deux pierres scellées,
Une main de suie,
La treille brûlée,
Un bras qui supplie…
Vint le glas. Descendit l'Archange et sa fureur.
Sur les berges du sang, giflées d'ailes de fer,
Au fronton des manoirs, désuets sous l'éclair,
À quoi pouvait servir qu'il fût encor des fleurs ?
Lui-même, le soleil, pouvait-il n'être encore
Qu'un grand liseur tournant les pages sur les monts
Alors que les plasmas s'ouvraient au nécrophore
Et que l'air apprenait son travail au poumon ?
Regard, étais-tu fait pour guider dans la fange
La foule en noirs caillots fuyant la pluie de feu ?
Main de femme, était-il écrit dans ta louange
Qu'un jour tu brandirais le fanal et l'épieu ?
(…)
Deux pierres scellées,
Une main de suie,
La treille brûlée,
Un bras qui supplie…
De lourdes fleurs de chair couronnent les murailles
Comme les étendards atroces de l'été.
Entre les chevaux morts, les canons démâtés,
L'habitude en lambeaux cherche son attirail…
Mais, sans hâle, une plaie saignante à son côté,
Un grand corps ténébreux s'avance à sa rencontre
Et, tous deux s'épaulant, marchent dans la clarté
Vers la bête de feu que masquent les décombres.
Et peut-être demain le monstre terrassé
Contraint de regagner les fonds boueux de l'âme,
Le Verbe, renaissant comme l'herbe aux fossés,
Nous rendra-t-il les clefs fragiles de la fable ?
In Jean Rousselot par André Marissel, © Seghers, Poètes d'aujourd'hui, 1973, p.113
Publié en avril 1943 dans les Cahiers du Sud
- Le Goût du pain, La Hune, 1937
- Arguments, Laffont 1944
- Le sang du ciel, Seghers, 1944
- Agrégation du temps, Seghers, 1961
- Hors d'eau, Chambelland, 1968
- Plus haut volant, 1969
- Des droits sur la Colchide, Chambelland, 1970
- Du même au même, Rougerie, 1973
- Pour un bestiaire, 1975
- Au propre, 1975
- Proses à mémoire, Rougerie, 1976
- Ici et maintenant, Le Verbe et l'empreinte, 1981
- Déchants, Sud Poésie, 1985
- Poèmes Choisis, 1975-1996, Rougerie,1997
Internet
Contribution de Jean Gédéon
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