Le poète est lumineux, mais l'homme, difficile à cerner, avec ses multiples facettes… En voici quelques-unes :
LA JEUNESSE
Louis Aragon naît, en octobre 1897, dans une famille un peu bancale. Il a, en effet, été conçu hors des liens du mariage, et ce détail, replacé dans le contexte de l'époque, prend toute son importance. Afin, en effet, que les convenances soient respectées, sa mère se fera passer pour sa sœur et sa grand-mère pour sa mère. Quant à son père, Louis Andrieux, homme politique et préfet de police, qu'Aragon rencontrera de temps à autre, il sera officiellement son tuteur.
Intelligent, très sensible, d'esprit curieux, il fait preuve dès 8/9 ans d'un talent littéraire, et commence à écrire de petits textes et des poèmes. Il passe son bac en 1914, et commence ses études de médecine, tout en s'intéressant à la vie artistique de l'époque, riche en talents divers : Max Jacob, Cendrars, Apollinaire, Stravinski, Diaghilev, et fait preuve d'indépendance d'esprit en lisant des auteurs tenus pour scandaleux tels que Rimbaud, Lautréamont, Jarry, ou en admirant des peintres " ridicules" comme Braque, Chagall Matisse ou Picasso… En 1922, il est engagé par Hébertot, pour diriger le journal "Paris-Journal", et démissionne deux ans plus tard. « Au mois d'avril 1923, écrit-il, je quittai brutalement ma place sur un coup de tête, un mécène, contre des manuscrits, me payant la possibilité de vivre à la campagne. C'est alors que j'optai pour une manière de solitude à Giverny. » Ce mécène est le couturier Jacques Doucet
LE COMBATTANT et le RÉSISTANT
En 1917, il est mobilisé, devient médecin auxiliaire des armées, y fait connaissance avec André Breton et participe aux combats. « J'ai vu la Woëvre à tombe ouverte j'ai vu la Champagne épouillée de gencives sur ce ricanement de squelette et la forêt d'Argonne avec l'épouvante des patrouilles égarées les sables la tourbe de la Somme et le long dos d'âne disputé du Chemin des Dames cette arête vive du massacre », écrira-t-il quarante ans plus tard dans le "Roman inachevé ".
J’ai mis la main dans la main de la Mort
Il fallait bien fallait bien fallait bien
Depuis ce jour c’est moi que la Mort tient
Fort par la main par la main par la main
J’ai mis la main dans la main de la Mort
Mais je la tiens autant qu’elle me tient
Et ses doigts d’os craquent entre les miens
Quand je m’endors m’endors m’endors m’endors (…)
In Les Adieux et autres poèmes, © dans Œuvres poétiques complètes, tome II, sous la direction d’Olivier Barbarant, Pléiade, 2007 (Stock, 1997), p. 1170.
LE SURRÉALISME
La grande guerre terminée, André Breton fonde en 1919, avec Aragon et Philippe Soupault le surréalisme, terme qu’Apollinaire avait précédemment utilisé dans le sous-titre de sa pièce de théâtre « Les mamelles de Tirésias ».
Dans son premier manifeste du surréalisme, Breton en donne la définition suivante : « Automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » En fait, dans l’esprit de ses fondateurs, et surtout dans celui d’André Breton, il s’agissait d’une insurrection générale contre tous les mots d’ordre de la société bourgeoise et de les remplacer, et eux seuls, par la poésie, l’amour et la liberté.
En fait, Aragon se sent un peu à l’étroit dans ce carcan et bridé par l’autoritarisme de Breton. Il va prendre un peu de distance vis-à-vis du groupe, afin de pouvoir librement poursuivre son œuvre de romancier, activité jugée "ignoble" par A. Breton.
La ville assise dans les pavés
Au grand saisissement des nuages, la main blanche s'était arrêtée au dessus des boulevards extérieurs, faisant de grands gestes de ses articulations claquantes qui emportaient l'esprit vers une région d'épidémies et de drapeaux . Par l'intervalle des phalanges, un rayonnement violet s'abattait comme une trombe en mer sur la ville assise dans des amoncellements de pavés, et les pancartes de sens unique renversées, les cadavres d'agents pourrissants aux carrefours, depuis les jours déjà lointains du premier sursaut, quand il y avait des anémones à tous les coins de rue et des œillets sauvages aux fenêtres convulsées des maisons . Alors on vit sortir d'une venelle noire, et tout lépreux de rancœurs et de désastres, un fantôme habillé en fantôme, avec ses grandes dents sonores, ses façons de hocher la tête et la grande faux maçonnique qui signifie la dignité des hommes et des femmes. Le spectre, en passant dans les premiers cafés encombrés d'ouvriers et de bouquetières, décoiffa les hommes de leurs casquettes symboliques, et fit tomber les bas des femmes.
Écriture automatique, texte écrit par Aragon au café La Source, Bd. St. Germain, en juillet 1919.
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Pur jeudi
Rues, campagnes, où courais-je ? Les glaces me chassaient aux tournants vers
d'autres mares. Les boulevards verts ! Jadis, j'admirais sans baisser les paupières,
mais le soleil n'est plus un hortensia.
La Victoria joue au char symbolique : Flore et cette fille aux lèvres pâles. Trop de
luxe pour une prairie sans prétention : aux pavois, les drapeaux ! toutes les amantes
seront aux fenêtres. En mon honneur ?
Vous vous trompez.
Le jour me pénètre. Que me veulent les miroirs blancs et ces femmes croisées ?
Mensonge ou jeu ? Mon sang n'a pas cette couleur.
Sur le bitume flambant de Mars, ô perce-neiges ! Tout le monde a compris mon
cœur. J'ai eu honte, j'ai eu honte, oh !
In Feu de Joie, © Éditions Au sans pareil, Paris, 1920
LE RÉSISTANT
En 1936, au moment de la guerre d'Espagne, Aragon se joint aux artistes qui apportent physiquement leur aide aux républicains. Et puis, c'est la drôle de guerre, et il se trouve de nouveau enrégimenté dans le groupe sanitaire d'une division légère motorisée, et une fois de plus, comme en 1914, il va faire preuve de courage et de détermination, ramasser des blessés à quelques mètres des chars allemands et en être récompensé par une citation, la croix de guerre, et la médaille militaire .
Démobilisé, il gagne Carcassonne et y rencontre Pierre Seghers, qui va jouer un rôle important pour la suite de sa résistance intellectuelle. Seghers décrit ainsi cette rencontre « Mince, le cheveu noir, jeune et vif, de hautes jambes, il m'accueille comme si nous nous connaissions déjà, me prend par le bras, un peu penché, et m'entraîne… (…) Je lui demande s'il veut bien m'aider, si je puis l'aider. Oui, bien entendu. Puis Aragon sort de sa poche des feuillets où je reconnais l'écriture droite et arrondie, l'encre bleue. Des poèmes, ceux qu'il a écrit dans les Flandres, à Dunkerque, à Ribérac et ici. Plus de la moitié des poèmes du futur Crève-Coeur. »
Pendant toute l'occupation, Aragon va faire de la résistance à sa manière, par l'écriture poétique dont la subversion sera noyée dans un style savant et avant-gardiste. « Dès Carcassonne, écrit Sadoul, Aragon avait établi un plan de résistance littéraire " légale ". Son difficile combat durant la " drôle de guerre " lui avait prouvé qu'il pouvait continuer d'exprimer ses sentiments profonds par ses vers. Dans les nouvelles conditions créées par la défaite, l'occupation hitlérienne, le gouvernement Pétain, les censures de la Gestapo et de Vichy, il fallait organiser" légalement ", par le moyen de la poésie, un mouvement de résistance littéraire qui utiliserait avec la fiction et les contradictions de la " zone libre " toutes les publications les plus diverses . »
Il va, avec Elsa, entrer dans la clandestinité, et constituer le Comité National des Écrivains pour la zone sud, avec entre autres, Camus, Pierre Emmanuel, le R.P. Bruckberger, Claude Roy, Sadoul, Seghers etc... C'est l'époque des poèmes de résistance.
Le monde illustré
Les hommes ont cette saison
Des yeux de peur des yeux de pierre
Et les songes sous leurs paupières
Semblent des fauves en prison
La poussière du paysage
Est faite de fer et de feu
Le jour a l'air d'un vaste jeu
Qui survit aux anciens ravages (…)
In le Crève-Cœur, © Poésie/Gallimard, 1980
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Pour toi
Je me souviens d'une prison
Qui n'avait ni rime ni raison
Je me souviens d'un cimetière
Qui semblait la patrie entière
Je me souviens d'un peu de sang
Sur la place aux pieds des passants
Je me souviens de cette gare
Où l'on fouillait des gens hagards
Je me souviens des soldats gris
Dans le beau désert de Paris
Je me souviens de mille choses
Un mort on croirait qu'il repose
Les voyageurs se sont pressés
On croisait le train renversé
Du village brûlé le soir
II ne restait qu'un tableau noir
Je me souviens au bout d'un champ
De trois pauvres tombeaux touchants
Je me souviens je me souviens
À le redire ce n'est rien
De la radio qu'on écoute
D'un ami d'un pas sur la route
Est-ce le souvenir qui ment
Tout sonne si banalement
La flamme seule peut comprendre
Ce que fut autrefois la cendre
Elsa c'est pour toi que je dis
Cette mémoire d'incendie
In Le nouveau crève-cœur, © Poésie/Gallimard, 1980
LES LIAISONS SENTIMENTALES
Parmi les différentes femmes qui ont traversé sa vie, deux ont vraiment compté, pour des raisons différentes : Nancy Cunard et Elsa Triolet.
Née en 1896, petite fille du fondateur de la Cunard Line, installée à Paris dès le début des années 1920, Nancy Cunard fréquente l'avant-garde intellectuelle, écrit et publie des poèmes, et en femme libérée et fortunée, consomme les hommes comme d'autres les petits fours. Et un beau jour, elle s'offre Aragon… ce qui va poser à celui-ci quelques problèmes avec son groupe surréaliste.
« Cette liaison que j'avais, écrira-t-il dans "Aragon parle ", laquelle impliquait de fréquents voyages, des déplacements – nous avions été en Espagne, en Hollande, en Italie, en Allemagne, ici et là en France – amenait une espèce de crise entre moi et les surréalistes habitués à me voir venir à Cyrano, place Blanche, la régularité de ces rencontres étant pour eux le barème de la fidélité. À leurs yeux, la présence à midi et le soir, à l'heure de l'apéritif, était un contrôle, et quand je n'y venais pas, on me suspectait de désaccord, ou du moins de manque d'intérêt pour ce que nous faisions ensemble. » Ceci met en lumière le rigorisme et le despotisme dont A. Breton faisait preuve vis-à-vis de ses compagnons.
« Elle n'aimait que ce qui passe et j'étais la couleur du temps. Et tout de même l'Ile Saint- Louis n'était pour elle qu'un voyage. Elle parlait d'ailleurs. Toujours d'ailleurs. Je rêvais l'écoutant, comme à la mer un coquillage »
Elle n'aimait que ce qui passe, et un jour, dans son sillage, passe un pianiste noir de jazz dont elle tombe amoureuse. Aragon ne le supporte pas, et fait, à Venise, une tentative de suicide aux somnifères. On le réveille à temps, et Aragon, complètement désemparé, rejoint, rue du Château, dans la maison précédemment occupée par Prévert et sa bande, deux jeunes gens de sa connaissance, G. Sadoul et A. Thirion. À cette époque, en 1928, Aragon a 31 ans, et c'est à ce moment qu’Elsa entre dans sa vie, et c'est aussi, sans doute, la fin de la bohème frivole et de sa jeunesse insouciante.
Elsa Triolet
Elsa, née en 1896, dans une famille d'intellectuels juifs de Moscou, les Kagan, épouse, en 1917, un français, André Triolet, venu en Russie avec la mission militaire française. Les époux vont très vite se séparer, sans divorce, et conserver, jusqu'à la fin de leur vie, d'amicales relations. C'est l'intérêt d'Aragon pour le poète russe Maïakovski qui va servir de prétexte à sa rencontre avec Elsa. Celle-ci connaissait très bien ce compatriote, et le lui présentera à son arrivée à Paris. À vrai dire, comme Nancy précédemment, Elsa, avec détermination, va, littéralement, accaparer Aragon.
Si on en croit le récit qu'en a fait Thirion, « cette prise d'otage » eut lieu rue du Château, au cours de la soirée organisée en l'honneur de Maïakovski dont la soeur de Elsa, Lili Brink, était la compagne. Dans les premiers temps de leur liaison, ils vont vivre des jours financièrement difficiles. Les travaux de librairie d'Aragon se raréfient, en effet, en raison de l'attitude politique des surréalistes, et Elsa refuse désormais d'accepter la pension mensuelle qu'André Triolet continuait généreusement de lui verser, en dépit de leur longue séparation. Pour vivre, Elsa a l'idée de fabriquer des colliers pour les grands couturiers, et Aragon, transformé en commis voyageur, va les placer, avec parait-t-il, un remarquable talent. Et puis, quelques temps plus tard, celui-ci devient journaliste à L'Humanité.
Mais peu importe, au fond, ces détails domestiques, il semble, en effet, beaucoup plus intéressant d'essayer d'analyser le rôle très important qu'a joué Elsa dans la vie d'Aragon. Celle-ci, selon ses biographes, était une femme très intelligente, perspicace et lucide. Elle va vite prendre l'exacte mesure du bonhomme Aragon, jauger ses qualités et ses défauts, le canaliser, brider sa bisexualité latente, le pousser à rompre avec A. Breton et à prendre ses distances avec le groupe surréaliste. Elle sera aussi l'oreille attentive et critique, le juge rigoureux et l'aiguillon dont Aragon, au talent si abondant et facile, avait besoin, pour se contraindre à remettre sur le métier son ouvrage. Elle contribuera puissamment à faire de ce virtuose fantasque un grand écrivain.
Sur le plan intime, bien que paraissant, pour l'extérieur, parfaitement unis, ils vont connaître, dès 1942 et 1943, une suite de crises intimes. Il y aura d'abord, rivalité professionnelle, le roman d’Elsa "Le Cheval blanc" connaissant une éclatante réussite, alors que celui d'Aragon, " Les voyageurs de l'impériale" paraît sous son nom, bien qu'entièrement remanié et manipulé par Gallimard, pour plaire à la censure de Vichy. Il y aura, aussi, pour le couple, une planque en tête-à-tête, de plusieurs mois, en zone libre, afin de se soustraire à la Gestapo, toutes liaisons coupées, en pleine montagne. Il y aura, enfin, sans doute, une certaine lassitude de la part d’Elsa, qui portait depuis le début sur ses épaules, la responsabilité du ménage, empêchant Aragon de se disperser sentimentalement de partenaires en partenaires. En tous cas, en 1942, Elsa, à 46 ans, décide de rompre après 14 ans de vie commune, et puis, y renonce. La vie à deux se poursuivra donc, unie en façade, mais platonique en réalité.
Elsa au miroir
C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or Je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
C'était au beau milieu de notre tragédie
Qu'elle jouait un air de harpe et sans y croire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
Qu'elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
À ranimer les fleurs sans fin de l'incendie
Sans dire ce qu'une autre à sa place aurait dit (…)
In La Diane Française © Pierre Seghers, 1944.
Elsa meurt en 1970, et ses dernières années auront été marquées par une longue maladie, source pour Aragon d'une perpétuelle anxiété.
En dépit du mythe de la muse idéalisée, placée publiquement sur un piédestal, et pure création poétique d'Aragon, il est très probable, comme l'indique Pierre Daix dans sa biographie, qu’Elsa, dès le début de leur liaison, n'a pas été une femme heureuse. Aragon, lui-même, avouera, dans la préface à son "Œuvre poétique" : « Mais à la fin, cela m'agace (comme bien plus encore cela l'a toujours fait à Elsa pendant les quarante-deux années de notre vie commune) – cela ? Je veux dire deux choses : que notre vie ait été cette idylle qu'on prétend, et du même coup que je doive à Elsa mon destin politique. Il suffit de le dire comme cela, d'abord parce que c'est vrai. Et que notre vie n'a d'aucune façon, même politique à part, été cette image d’Épinal que bien des gens ont fini par croire, de l'entendre rabâcher en bonne comme en mauvaise part. »
LE MILITANT POLITIQUE
On ne peut parler d'Aragon, sans faire référence à son activité politique, qui a tenu dans sa vie une place si importante Le groupe surréaliste se voulait révolutionnaire, non seulement en matière littéraire, mais dans tous les autres domaines. Et le phare révolutionnaire, à l'époque, c'était la Russie. A. Breton et Aragon vont donc s'inscrire au parti communiste, et encourager les autres membres du groupe à en faire autant. Il s'agira, au début, pour Aragon, d'une adhésion formelle d'autant plus que le Parti le considérait comme douteux, en raison de son appartenance au groupe surréaliste. Après 1940, à l'heure des bilans et des règlements de compte, il gênera, « ayant le tort » de tout connaître des hésitations des uns, ou de l'attentisme des autres, et sera donc, plus ou moins, tenu à l'écart, jusque dans les années 1950. Peu à peu, cependant, à force d'humilité et de patience tenace, il va finir par être admis, et s'imposer comme un des membres éminents du Comité Central. Professionnellement, il sera successivement journaliste au journal L’Humanité, rédacteur en chef du journal d'information Ce soir, créé par Maurice Thorez, puis plus tard patron du journal Les lettres Françaises.
Il fera jusqu'au bout confiance, contre vents et marées, à la ligne du PC français, quels que soient ses revirements successifs, glorifiera, sur le plan artistique, l'art socialiste soviétique, pompier et convenu, et justifiera par dogmatisme les purges staliniennes « qu'il a semblé prendre, ainsi que l'écrit Pierre Daix, pour une fâcheuse parenthèse, mais qui ne saurait ternir le cours du socialisme ».
S'est-t-il agi de foi aveugle ou bien de rouerie intellectuelle ? Mystère.
« Il est vrai, souligne encore Pierre Daix, qu'Aragon n'a jamais clairement expliqué à ceux qui lui avaient fait confiance durant les années staliniennes combien de ses assertions péremptoires de jadis se révélaient controuvées, combien il s'était trompé et les avait trompés. L'autocritique n'est pas son fort, et il a toujours eu tendance à atténuer, voire à brouiller les conséquences de ses actes ou écrits quand elles pouvaient contrarier la politique du parti »
LES POÈMES-CHANSONS
Comme Jacques Prévert, Aragon a eu le privilège de voir un certain nombre de ses poèmes mis en musique par Lino Léonardi, Hélène Martin, Léo Ferré, Jean Ferrat, Georges Brassens et chantés par eux-mêmes ainsi que par Yves Montand, Alain Barrière, Isabelle Aubret, Francesca Solleville, Nicole Rieu, Monique Morelli ou Marc Ogeret. Rien de tel que la grosse caisse médiatique pour rendre visible et populaire le travail d’un poète, principalement, quand ce travail est d’un tel talent.
Il n'y a pas d'amour heureux
Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
À quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
In La Diane Française, © Seghers 1946.
LES DERNIERES ANNÉES
Aragon fait face au deuil d’Elsa avec courage en s'absorbant dans des taches pratiques de classement, d'organisation et de rangement. Il voit, avec tristesse, disparaître tous ses amis les uns après les autres : Breton, Tsara, Sadoul, Nancy, et peut-être, pour s'étourdir, et peut-être aussi, par provocation, renoue avec les habitudes de noctambule de sa jeunesse, s'habille avec une fantaisie débridée, et accumule les dettes. Lui qui avait toujours refusé les pendeloques officielles, va accepter, en 1981, d'être fait chevalier de la légion d'honneur par F. Mitterrand, union de la gauche oblige…
Et les média, pendant de longues années, jusqu'à sa mort, en 1982, vont sans répit et avec un brin de dérision, le photographier, et l'exhiber sur les antennes de télé, cheveux longs, grande cape noire sur les épaules et canne de dandy à la main. Il faut croire qu'à l'époque, le personnage "Aragon", c'était bon pour l'audimat…
En tous cas, l'homme Aragon, personnage à facettes, complexe, subtile et à la personnalité narcissique parfois peu sympathique, ne doit pas faire méconnaître et cela c’est l’essentiel, le très grand poète, fécond et innovateur, qui a su trouver pour chanter l'Amour, d'inoubliables accents.
Bibliographie poétique
- Feu de joie, 1919
- Le Mouvement perpétuel, 1926
- La Grande Gaîté, 1929
- Persécuté persécuteur, 1930-1931
- Hourra l'Oural, 1934
- Le Crève-cœur, 1941
- Cantique à Elsa, 1942
- Les Yeux d'Elsa, 1942
- Brocéliande, 1942
- Le Musée Grévin, 1943, publié sous le pseudonyme de François la Colère
- L'Honneur des poètes, 1943, contient trois poèmes d'Aragon sous le pseudonyme de Jacques Destaing
- La Rose et le Réséda, 11 mars 1943
- La Diane française, décembre 1944
- En étrange pays dans mon pays lui-même, 1945
- Le Nouveau Crève-cœur, 1948
- Le Roman inachevé, 1956 (contenant Strophes pour se souvenir, plus connu sous le titre L'affiche rouge)
- Elsa, 1959
- Les Poètes, 1960
- Le Fou d'Elsa, 1963
- Il ne m'est Paris que d'Elsa, 1964
- Les Chambres, poème du temps qui ne passe pas, 1969
-
Une biographie très complète par Pierre Daix, son ancien collaborateur aux Lettres françaises intitulée « ARAGON » et publiée par Flammarion en 1994.
Internet
- Une biobibliographie sur Wikipedia
- Une étude très complète de Sandra Provini, intitulée « Du crève-cœur à la Diane Française » portant sur la prosodie lyrique d’Aragon.
Contribution de Jean Gédéon
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