Sous le titre, Matisse, Cézanne, Picasso...L'aventure des Stein, les cimaises du Grand Palais, à Paris, resplendissent encore jusqu'au 22 janvier 2012 de tableaux exceptionnellement rassemblés, provenant des collections, aujourd'hui dispersées, des frères et sœur Stein, venus d'Amérique, installés à Paris au début du XXème siècle et qui, par leur goût très sûr, soutinrent jusqu'à leur célébrité ces peintres, et beaucoup d'autres artistes.
La tentation était grande de rapprocher des trois grands nus de Bonnard, Matisse et Valotton, qui occupent tout un mur de la seconde salle, quatre poèmes qui parleront à ceux qui les ont vus.
Pour accompagner La sieste de Pierre Bonnard, 1900
Néréidé
Mystère de la mer au fond des chambres
quand la femme qu'on croyait vaincue
par la montée des heures
se retourne dans la barque et d'un geste salue
le visage impassible des noyés
Mystère de la femme au fond des mers
quand la chambre à son commandement
change de cap et creuse
entre les seins de l'endormie
la nuit comme un fanal
jusqu'à la grève inaccessible qu'on respire
In Éloge pour une cuisine de province de Guy Goffette © Poésie/Gallimard 2000, p.97
Deux poèmes pour Le nu bleu, souvenir de Biskra de Henri Matisse, 1907
À une dame créole
Au pays parfumé que le soleil caresse
J'ai connu sous un dais d'arbres tout empourprés
Et de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés.
Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse
A dans le cou des airs noblement maniérés ;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.
Si vous alliez , Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d'orner les antiques manoirs,
Vous feriez, à l'abri des ombreuses retraites,
Germer mille sonnets dans le cœur des poètes,
que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.
In Les fleurs du mal, Baudelaire, 1861
IÓ
Telle une reine de Nubie
n'ayant d'autre digue que ses seins
pour maintenir le fleuve dans son lit
elle s'est levée comme l'envahisseur de l'aube
l'envahisseur si lourd
si beau
qu'à peine sur ses gonds
elle a des bras de paille au vent
et dans la cambrure de sa taille comme une fenêtre ouverte sur le vide
déjà l'appel désespéré de l'incendie
In Éloge pour une cuisine de province de Guy Goffette © Poésie/Gallimard 2000 p.94
Pour Grand nu allongé au coussin jaune de Félix Valotton, 1904
Chanson d'après-midi
Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n'est pas celui d'un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,
Je t'adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion !
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.
Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes ;
Ta tête a les attitudes
De l'énigme et du secret.
Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d'un encensoir
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.
Ah ! Les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts !
Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses .
Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser ;
Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon cœur
Ton œil doux comme la lune.
Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grand joie,
Mon génie et mon destin,
Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur !
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie !
In Les fleurs du mal, Baudelaire 1861
Internet
- Le site de l'exposition Stein
- Un article consacré à Gertrude Stein sur Wikipedia
Contribution de Roselyne Fritel
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