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La Pierre et le Sel : Quel est l'itinéraire personnel qui vous a conduit à la poésie ? Histoire et culture familiales ? Rencontres personnelles ? Études ?
- Charles Dobzynski : Ce qui m’a conduit à la poésie ? L’Occupation. La clandestinité. L’absence d’école, compensée plus ou moins par l’écriture
- La Pierre et le Sel : Quelle place occupe aujourd'hui la poésie dans votre existence ? Avez-vous d'autres activités d'écriture ?
Vous êtes un passionné de cinéma et également d'astronautique. Comment établissez-vous des passerelles entre ces passions et la poésie ? Sont-elles indissociables dans votre univers personnel ?
- Charles Dobzynski : La poésie : une place centrale ! L’axe de mes journées, de mes pensées. Sans elle, l’amour reste inexprimable. Journaliste et chroniqueur, j’écris évidemment aussi des articles, des contributions à tel ou tel périodique. Ce fut pendant une bonne dizaine d’années, outre Europe, où je suis amarré, Aujourd’hui poème qui a disparu, malheureusement.
La science-fiction, le cinéma, font partie non seulement pour ce dernier de ma sphère professionnelle mais aussi de mon univers mental. Je n’ai jamais renoncé à l’un ou l’autre, même si j’ai cessé de rédiger mes critiques de films sous le pseudo de Michel Capdenac, comme je le fis pendant plus de 20 ans d’abord aux Lettres françaises, puis à Europe.
- La Pierre et le Sel : De grands noms de la poésie, tels Aragon, Éluard, vous ont mis « le pied à l'étrier » à l'aube de votre vie de poète. Quels sont les poètes, contemporains ou du patrimoine, qui vous sont proches par leur écriture, auxquels vous vous référez ?
Quelle place accordez-vous à la lecture des autres poètes dans votre travail personnel ? Êtes-vous attentifs aux nouvelles voix de la poésie ?
- Charles Dobzynski : Les poètes sont ma forêt. Donc il y a beaucoup d’arbres. Pour ceux du XXème siècle, outre Aragon et Eluard qui m’ont parrainé en effet, je dirai Nâzim Hikmet, dont je fus l’ami, Pablo Neruda, Yannis Ritsos, Lorca, Vélimir Khlebnikov, mais aussi Henri Michaux, Apollinaire, René Char, Guillevic ( ami très cher) et plus près de nous : Bernard Noël, Lionel Ray, Marie-Claire Bancquart, impossible de tout citer. Que l’on se reporte à mon anthologie critique récente Un four à brûler le réel (Orizons) et l’on comprendra mes penchants et mes engouements.
- La Pierre et le Sel : Vous insistez sur l'importance du travail pour écrire ? Pensez-vous comme Claude Roy que l'on n'écrit pas des poèmes mais que ce sont les poèmes qui vous écrivent ?
- Charles Dobzynski : Sans reprendre à mon compte la belle formule de Claude Roy, je pense que toutes les strates des poèmes sont en nous, à l’état latent. Une nappe phréatique. Il faut creuser, la rechercher. Ensuite, le travail est essentiel pour mettre à jour l’enfoui.
- La Pierre et le Sel : Vous êtes un homme de conviction et l'existence vous a conduit à traverser des épreuves personnelles mais aussi collectives, douloureuses. Pensez-vous que la poésie doit s'engager dans son siècle, être en prise avec le réel politique, social ?
- Charles Dobzynski : Oui, j’ai mis beaucoup de mes convictions, colères ou enthousiasmes dans ma poésie. Quelquefois à l’excès ou maladroitement. Je ne crois plus que l’on doive être porteur de message prémâché. Mais la poésie est faite aussi pour changer la vue, changer la vie, et sans être tributaire de l’engagement. Elle doit prendre au collet la brutale réalité de notre temps. Elle a donc, par nature, une fonction politique et sociale, qu’il ne faut pas surévaluer, mais non plus occulter.
- La Pierre et le Sel : Pour rester d'une certaine façon dans ce propos, quelle importance particulière accordez-vous dans votre œuvre à l'Anthologie de la poésie yiddish parue dès 1971 ?
- Charles Dobzynski : Mon travail sur la poésie yiddish qui a abouti à une anthologie désormais référentielle, plusieurs fois rééditée, avec un tirage croissant, a joué un rôle capital dans ma vie. Il m’a permis de retrouver mes racines, parfois mises de côté, une judéité que j’assume désormais pleinement. Et puis, il s’agissait pour moi d’une mission sacrée : sauver de la disparition, dans la mesure de mes moyens, une langue et une culture poétique que les tragédies, la Shoah, ont gravement menacées d’extinction. Un de mes derniers livres, Je est un juif, roman, se conclut par ce vers « Être juif n’est pas ma prison » ce qui précise ma position non dogmatique, ma liberté à l’égard des politiques et des religions, mais aussi mon refus de renoncer à ce qui fait ma qualité humaine.
- La Pierre et le Sel : Publiez-vous encore dans des revues ? Lesquelles ?
Avez-vous des activités de traduction ? Dans quelle(s) langues (s) ?
- Charles Dobzynski : Bien sûr, tant que c’est possible je publie en revue. Europe d’abord. J’ai pendant longtemps, avant d’en quitter la rédaction, publié dans Action poétique, et dans le dernier numéro, celui de Mars 2012, j’apporte ma contribution. Récemment, certains de mes poèmes récents, extraits d’un livre, La baie des anges, élégies ont paru dans la revue Archers. D’autres seront publiés dans Phoenix. Quant à la traduction, pour le moment, je n’ai rien en chantier, occupé par mes travaux strictement personnels.
- La Pierre et le Sel : Vous êtes co-directeur de Europe ? Quelle place accordez-vous à cette responsabilité par rapport à l'écriture ? Vous êtes par ailleurs président du prix Apollinaire ? Que représentent selon vous les prix pour un auteur mais aussi pour la poésie en général ?
- Charles Dobzynski : Mon rôle à la revue Europe a été une grande part de ma vie, bien sûr. Cela m’a permis surtout, mieux qu’avant aux Lettres françaises, de me recentrer sur la création. Le rapport à l’écriture est surtout en l’occurrence une plus grande disponibilité et une expérience littéraire plus enrichissante.
Les prix ne sont pas des colifichets et je ne suis pas de ceux qui les dédaignent. J’en ai obtenu très peu au cours de mon itinéraire, ni l’Apollinaire, ni le Mallarmé, alors que je participe à ces deux jurys. Mais le Max Jacob, et surtout en 2005, le prix de poésie des Goncourt, un grand moment pour moi. J’assume pleinement ma responsabilité de président au prix Apollinaire, cela exige une somme considérable de lectures, et des discussions passionnées avec d’autres poètes. Les prix sont extrêmement utiles pour signaler une œuvre et contribuer à son essor, alors que les médias tiennent généralement la poésie à l’écart, celle-ci se défend par une méritocratie que je trouve légitime.
- La Pierre et le Sel : Vous êtes l'auteur d'une œuvre très importante et vous publiez beaucoup chez des petits éditeurs, tels Orizons ou L'Amourier pour ces dernières années. Quelle est votre opinion quant à l'état de la poésie en France et particulièrement de la petite édition ?
- Charles Dobzynski : Oui, je suis heureux que ceux qu’on appelle les petits éditeurs m’accueillent : c’est une famille que j’apprécie hautement, puisque les Grands ne sont pas toujours disposés à me publier. L’Amourier et dernièrement Orizon me font bénéficier d’une place de choix. Orizons, grâce au magnifique éditeur qu’est Daniel Cohen, m’a permis de publier 4 livres en 2012 : Je est un juif, roman, Le bal des baleines, un ensemble de nouvelles, la réédition remaniée de ma traduction des Sonnets à Orphée de Rilke et enfin le premier tome de Un four à brûler le réel, sélection de mes écrits sur la poésie dont le deuxième volume est prévu également pour 2012. Un autre de mes livres, Journal de la lumière & de l’ombre devrait paraître la même année au Castor Astral, avec une préface de Bernard Noël et des peintures de Marc Feld. Mais je suis toujours dans « l’écurie » des éditions de la Différence et un autre de mes livres, important à mes yeux, une autobiographie en vers, Ma mère, etc. roman devrait y paraître. Il faut considérer comme une chance et une sauvegarde l’existence, la persistance, et le courage obstiné des petits éditeurs, dans un monde éditorial trop restrictif.
- La Pierre et le Sel : Utilisez-vous Internet en relation avec la poésie ? Avez-vous un site personnel, un blog ? Consultez-vous ceux des autres ?
- Charles Dobzynski : J’utilise un ordinateur. Donc avec accès à Internet, notamment à Facebook. Mais Internet ne joue pas un rôle particulier dans mon travail. J’avais installé un blog aujou.poe. com mais je n’ai pas eu la patience de l’alimenter régulièrement. Un effort qui me lasse. Mais il se peut que je le reprenne un jour. J’en consulte certains à l’occasion, notamment celui d’Éric Dubois, Le Capital des mots, Poezibao et d’autres. Mais je n’y passe pas mes journées.
- La Pierre et le Sel : Quels sont vos projets à venir ?
- Charles Dobzynski : Entre 2009 et 2012, j’ai été habité par une frénésie d’écriture et de poésie. 6 ou 7 livres en sont nés dont il me revient de trouver une possibilité éditoriale, pas toujours facile. J’ai sur la planche : Le Baladin de Paris, dont la publication est prévue au Temps des Cerises. Changer de base, La Baie des anges, Élégies, un livre de fantaisie scientifique en vers L’univers, mode d’emploi, et je suis en voie d’achever un autre manuscrit, très différent des autres Déchantements, des poèmes d’amour, des poèmes érotiques, de nature à surprendre mes lecteurs habituels ! Quant aux autres projets, attendons qu’ils mûrissent !
- La Pierre et le Sel : Cette dernière question avant de nous quitter et de vous remercier chaleureusement pour cet entretien. L'édition 2012 du Printemps des poètes a pour thème Enfances. Pour vous à quoi cela correspond-il, que ce soit en termes de souvenirs, d'actualité ou d'espoirs pour le futur ?
- Charles Dobzynski : Le thème de l’enfance m’est d’autant plus cher que la mienne est toujours vivante dans mes tréfonds. J’ai commencé mon itinéraire par un grand poème, Les Enfants, qui fut présenté par Paul Éluard en 1949 dans Les Lettres françaises. Je le relirai en partie le 24 mars, au théâtre de Saint-Maur où l’on m’a invité pour le Printemps des Poètes. L’enfance est le tuf de notre vie, là où commence notre végétation mentale. Et c’est un territoire privilégié pour la poésie.
Avec mes pensées amicales à La Pierre et le Sel.
Contribution de PPierre Kobel
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