Le 16 mars dernier, Dana Shismanian présentait son second recueil paru chez L'Harmattan, dans la collection Accent-Tonique, dirigée par Nicole Barrière, Mercredi entre deux peurs, un très beau titre, illustré sur fond bleu drapeau d'une photo de l'auteur, celle d'un chêne foudroyé, crucifié mais toujours debout, à l'image de quelques-uns de ses poèmes les plus douloureux.
Pour Dana, membre de l'association Hélices, qui y publiait en 2008 son premier recueil, Exercices de résurrection, dans la collection Poètes ensemble, c'est l'occasion de prouver qu'elle a trouvé « sa voie » en référence à sa quête précédente – je suis juste toi qui cherche sa voie – et d'affirmer pleinement sa voix.
La traversée
Oui pour la première fois
je sais le titre de mon poème à l'avance
c'est la traversée
de mon corps par mon corps
mais ce qui s'envole ce n'est pas la chair
comme une pierre jetée à travers la rivière
c'est tout ce qui bouge à travers moi
In Mercredi entre deux peurs © L'harmattan 2011, p.57 (extrait)
Dana, née en Roumanie et vivant en France depuis 29 ans, porte dans son corps la marque indélébile de l'exil, double vie, double mémoire, étrange dualité à savourer comme une manne et à traduire dans une langue unique pour parler de soi, et se donner à voir.
Dana y parvient dans nombre de poèmes présents dans ce recueil, où courent émois et confidences à fleur de peau. Il faudrait, ailleurs, élaguer encore le plus touffu, le plus feuillu des mots pour obtenir l'essence du verbe. La poésie est un long chemin d'ascèse et de concision.
Il existe donc dans son parcours un avant et un après, que le poète ne cesse de vouloir réconcilier en y parvenant, ici, semble-t-il.
« Une jeunesse perdue »
Désœuvrés non jamais
obsédés non plus
affamés oui certainement
de manne
on la mâchait en s'embrassant
on la mastiquait en mordant
nos propres corps
le cœur à vif
l'esprit en feu
hallucinée j'étais
on me l'a dit
je croyais voir et je n'ai pas vu
je me donnais à voir on ne m'a pas vue
personne n'a jamais deviné
qu'en mon secret sans fond
de moi-même jamais compris
j'étais plongée comme un seau dans l'infini
J'étais oui j'étais
hallucinée
Ibid p.73
Le poème, qui suit, porte un titre qui mérite d'être explicité, car il semble marquer une étape décisive pour l'auteur. Hapax, mot tiré du grec ancien, peut se traduire par n'ayant été dit qu'une fois. Aveu ? Révélation ? Accueillons-le avec le plus grand respect.
Hapax*
on n'entre pas
on n'en sort pas
on y est
autour
on vit
on meurt
ça vient ? non
ça passe? non
ça n'apparaît
ne disparaît pas
c'est
mais voilà
je n'y suis plus
pourtant
le vrai de vrai
je sais
est là
comprend tout
libère tout
au centre de l'être
Dieu à moi
moi à personne
personne à tout
tout à rien
rien à moi
moi à Dieu
Dieu à Dieu
au centre du non être
sur les pleurs d'un violoncelle
suspendu
la coïncidence des opposés
s'absente de sa présence
comme le parfum d'une fleur
unique
du goût de son fruit
inespéré
Ibid p.69 et 70
Bibliographie
- Exercices de résurrection © Hélices poésie, 2008
- Mercredi entre deux peurs © L'harmattan 2011
Contribution de Roselyne Fritel
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