À regarder les photos de la nature que prend Isabelle Lévesque, on peut percevoir quelle aspiration à la vie et à la lumière est la sienne. « Pour moi la poésie c'est l'élection, ou la rédemption » dit-elle à Christian Saint-Paul dans un entretien accordé pour l'émission Les Poètes de Radio Occitania en octobre 2011.
Souvent des branches écartées laissent passer la lumière,
souvent le soir apaise les feuilles du couchant, cercle
orange, présence chaude des matins bleus. Si longue
marche, souvent la nuit surprend. Incertitude
à regarder, nervure, chemin – d'autres auraient-ils été
possibles ?
Pas peut-être
pas un silence et le doute. Branche évitée pour une
ronce plus loin. Nul secours, pleine main pour une tige
blessée, qu'importe. Nous regardons ce qui nous brûle
pour nous sauver. Toute proportion chassée, battrons le
cœur, grandes foulées. Moquant souvent le soir, matin si
fort et notre ciel pour une étoile.
Demain n'est pas sans commencement
seul le passé.
In D'ici le soir, © Encres vives, 2009, p.9
Isabelle Lévesque est née en 1967, aux Andelys, lieu de vie, lieu fondateur, au pied de Château-Gaillard, formidable forteresse dont les ruines sont, dit-elle, fructueuses.
C'est de là que naît la poésie de Ossature du silence que viennent de publier les éditions des Deux-Siciles de Daniel Martinez. C'est à la fois un retour à une enfance – le recueil est dédié à ses parents – et la poursuite d'un dialogue avec ce père disparu qu'elle veut porter mais dialogue salvateur par la vertu du poétique. Un recueil où sont mises en regard des textes plusieurs encres de Claude Lévesque.
es-tu château
ou l’ombre du silence (forme humaine)
as-tu soupirs de géant
milliers d’insectes en gorge râpeuse
respirant la terre
le géant ne sent rien respire
chaque souffle expire
une pierre
es-tu nuée sourde sur la proie (aucune chance)
tu virevoltes geste fou d’une courbe
ne s’arrête comme
encre en tache et page
loin du buvard flot noir apparu
surface couvre
es-tu quelque part en présence surprise
ou patte d’un bourdon
perdu dans la lutte
percer le corps sombre minéral
érode
la pierre grave le socle
enfonce
château dressé (faille en terre)
In Ossature du silence, © Les Deux-Siciles, 2012, p.13
Isabelle Lévesque écrit depuis longtemps mais c'est la publication de ses textes, à partir de 2009, après qu'elle en ait adressés à diverses revues auxquelles elle est abonnée, qui l'encourage et lui donne confiance. Suivent la publication de Or et le jour, poèmes en prose dans l'Anthologie Triages de Daniel Meskache, l'édition d'un recueil, D'ici le soir, chez Encres Vives de Michel Cosem. Vie intense des petites maisons d'édition de poésie qui savent reconnaître les voix nouvelles.
Une promesse
de livre,
comme l'eau répandue et le perron de pierre,
calcaire prend l'eau de pluie et son souvenir de mer
fait naître les mots-fossiles.
Je t'offrirai plus que l'eau des livres,
plus que les mots. Âme vive,
elle est certaine et belle
du retour menant au fond des mers
comme une ancre
prenant au sel sa densité.
La mer est une terre de mots
et les îles entrent souterraines, alcalines ou solitaires,
plus que la page, ce tournoiement des flots,
ce tourbillon nos mots ?
Ronde ondoyante, enceinte crénelée
tendue de toile
où nous écrivons encore : un temps dit le silence
et nous creusons nouvelle cette semence.
Cor au son-mémoire, appel
et dans la plaine accourt l'homme
que n'effraie pas sombre
le silence au risque du mot.
In D'ici le soir, © Encres vives, 2009, p.11
L'écriture d'Isabelle a pris désormais son envol. Plusieurs recueils paraissent, chez Encres Vives, chez Rafael de Surtis. Dans l'entretien avec Christian Saint-Paul déjà cité, elle explique comment son écriture part d'une expression liminaire pour ensuite suivre un élan, envisager la sonorité et le sens des mots dans un enchaînement naturel. « Les poèmes s'écrivent » dit-elle. Elle se veut telle une enfant fascinée par le pouvoir des mots.
Écriture qui se cherche dans la déconstruction-reconstruction des mots. La poésie est une force de dissolution comme la reconnaît Isabelle dans l’œuvre de Caroline Sagot-Duvauroux à qui elle consacra un article dans ces pages en septembre 2011. Dans sa préface à Ossature du silence, Pierre Dhainaut écrit : « Isabelle Lévesque, qui rompt constamment avec l’ordre prévisible de la syntaxe et de la versification, délie les mots, les régénère, dégage leur énergie. La dualité n’a pas disparu, certes, l’unité néanmoins se devine ou plutôt nous saisit dans l’éclat bref d’un oxymore, dans l’arrêt brusque d’une phrase… Les poèmes n’expliquent jamais : « à partir du vide », avec le « silence », ils érigent cette « ossature » précaire, vacillante, qui accueille les vents, qui ne les retient un instant que pour les rendre à l’infini. »
Cette poésie est de l'ordre de la quête. C'est un élan vers la lumière, une clé pour la délivrance. Délivrance de l'écriture quand le poème est achevé mais, on le devine au-delà de la retenue des mots, délivrance des pesanteurs de l'existence. Isabelle Lévesque revendique une sacralisation de la littérature, de la poésie en particulier, une poésie dont les mots soulignent la pensée.
Charbon,
soir de mystère. La foi sombre
et nous détenons frisson.
- C'est l'heure ? -
Fait un tourment de miel
sur nos corps. Tu recueilles comme saveur
le dit de chair et verses une sève.
À cent lieues du jour, une torpeur
gagne le front du rêve.
Nous écartons les mots
d'un revers de fièvre. C'est nuit,
nous aurons tout le jour
pour écrire.
N'emporte pas le cœur,
sa pensée chaste a défait le nœud
d'une caresse vaine. Nous n'avons
ni remords ni constance. Notre projet
porte deux noms liés, distincts
depuis minuit. Tu ne regardes
que le corps lisse des demeures de roches.
Un galet s'est frayé, nous avons
la mer pour rêver l'écume.
Tout est tempête, tu sauras
faire nuage de fièvre
et nous aurons triomphe.
Matin-regard
et chaque braise, écartée du feu,
rejoint nos lèvres. Nul chemin
plus que fièvre, c'est la douleur
honorée de flamme,
l'immensité promise.
In Ultime amer, © Rafael de Surtis, 2011
Et c'est là que se tient, autre versant des rencontres fructueuses, le poète fondamental, « l'étoile choisie » qu'est Thierry Metz pour Isabelle. C'est dans le dénuement fécond de ses poèmes qu'elle se retrouve le plus.
A Thierry Metz
Quelle
demeure essaime (poème ignore) ?
Quelle
corde assoit (le saut du ciel) ?
À deux transporte un fil en terre.
Funambule le silence tombe, retient
(ce souffle).
Il est poète – 56 chemins mènent
(à l’origine).
Il est
né.
Quelle
mort fauche la tige, racine résiste
(arbre à côté).
Nul ne meurt à naître.
Poète.
À ciel creusé :
lumière
(reste).
Texte inédit
Dans la préface du Carnet d'Orphée de Thierry Metz édité par Les Deux-Siciles, elle écrit : « Dans l'espace d'une langue réduite à l'essentiel, Thierry Metz pose le sceau des mots pour restreindre le champ de la mort. Escale de lumière ou d'obscurité, la faille entre les deux mondes est immense et invisible. »
Les rencontres conduisent à l'écriture. Ce sont celles-là et le lien établi avec Daniel Martinez et sa revue Diérèse qui ont amené Isabelle à entreprendre un travail de revuiste et de chroniqueuse en regard de son écriture propre. C'est ainsi qu'un premier numéro de Diérèse a été consacré à Thierry Metz et qu'un second, à paraître très prochainement, viendra en complément.
L’œuvre de Isabelle Lévesque est en devenir, tout laisse à penser qu'elle va prendre toute son ampleur et prendre une place unique dans le concert des voix contemporaines de la poésie.
Citons encore : « J'aime les choses radicales et définitives, telle l'Antigone d'Anouilh. » Certes, à la connaître, c'est la passion qui habite Isabelle mais une passion constructive et partagée qui porte à la connaissance.
Bibliographie
- Or et le jour, anthologie Triages, © Tarabuste, 2009
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D'ici le soir, © Encres Vives, 2009
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La Reverdie, © Encres Vives, 2010
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Trop l’hiver © Encres Vives, 2011
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Ultime amer, © Rafael de Surtis, 2010
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Terre !, © Éditions de l'Atlantique, 2011
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Ossature du silence, © Les Deux-Siciles, 2012
à paraître :
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Vivant nu © Rafael de Surtis, 2012
Internet
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Sur le site de l'association Hélices
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Sur le site de Radio Occitania, l'entretien avec Christian Saint-Paul et leur transcription en fichiers textes.
Contribution de PPierre Kobel
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