Le 13 juin dernier, Angélique Ionatos donnait un récital au Théâtre de la Ville, accompagnée à la guitare et la voix par Katerina Fotinaki et au violoncelle par Gaspar Claus.
Une phrase du poète Odysseus Elytis, Un jour les rêves prendront leur revanche, introduisait le spectacle et, compte tenu de la conjoncture, donnait le ton, à savoir, comme l'affirme la chanteuse, que la parole poétique est une parole politique et prophétique.
Pour ceux qui la voyaient sur scène pour la première fois, il fut aisé de céder à la fascination qu'elle engendre.
Femme de cristal et de feu, aussi menue qu'ardente, vêtue d'une longue robe sombre et mouvante, la tête fièrement dressée sur un cou gracile, les cheveux relevés en chignon à la Cassandre, avant même d'ouvrir la bouche, elle habita toute la scène du Théâtre de la Ville. Sa voix poignante fit le reste.
Avec humour, en habituée de longue date du lieu et de son public, Angélique Ionatos, tantôt tendre tantôt pathétique, s'exprimant avec aisance en grec comme en français et avec la même flamme, s'accompagnant à la guitare ou soutenue par des partenaires de grande qualité et leurs instruments, nous offrit une heure et demie d'émotion intense, nourrie des plus beaux poèmes de poètes hellènes mis en voix par elle, Elytis, Ritsos ou Palamàs.
Le poème, qui suit d'Odysseus Elytis, tiré de Passion dans Axion Esti, publié dans Poésie/Gallimard – dont elle chanta un extrait de Genèse – illustre parfaitement la sombre fièvre de son chant:
COMME LANGUE on m'a donné le parler grec ;
comme maison un pauvre abri sur les syrtes d'Homère.
Mon unique souci cette langue bâtie sur les syrtes d'Homère.
Là-bas sont sargues et perches
verbes qui vibrent sous le vent
soulevant leurs verdeurs à travers l'azur
tant que j'ai vu dans mes entrailles s'allumer éponges et méduses
avec les premiers hymnes des Sirènes
coquilles d'or rose avec leurs premières fièvres noires.
Là-bas sont, dieux basanés,
cognassiers grenadiers, cognats et gens associés
versant l'huile translucide au fond des gigantesques jarres ;
et souffles divins qui montent des ravins fleurant bon
la lentisque et l'osier
les gingembres et les genêts
avec les premiers pépiements des pinsons,
antienne douce avec les tout premiers-premiers Gloria !
Mon unique souci cette langue avec ses tout premiers-premiers Gloria !
Là-bas sont lauriers et palmes
louanges et encensements
bénissant nos combats et nos vieux fusils trop longs.
Sur le sol comme nappé d'une mantille de vignes
grils d'agneaux, chocs d’œufs durs
« Christ est Ressuscité »
avec les premières salves des Hellènes.
Mystiques amours avec les premières phrases de l'Hymne.
Mon unique souci cette langue, avec les premières phrases de l'Hymne !
In Axion Esti, © Poésie/Gallimard, p. 75 et 76
De cette soirée demeure, dans un bruissement de pinède, un parfum de résine, un tollé de cigales, traversés par la ferveur d'une voix au bord de la révolte, cette proposition ironique d'Angélique Ionatos :
Que chacun des présents jette, dans une timbale, l'aumône d'un centime d'euro, à chaque mot d'origine grecque prononcé en français, afin qu'il comble la dette d'un pays aujourd'hui saigné à blanc.
Internet
-
Sur Wikipedia : discographie
-
Sur Dailymotion l'intégralité du concert du 13 juin 2012 au théâtre de la Ville
- Sur Esprits nomades
-
De belles photos sur le site de Lauren Pasche
Contribution de Roselyne Fritel
Angélique Ionatos est née en 1954. Elle quitte la Grèce au tournant des années 70 et s'installe en Belgique puis en France où elle sera longtemps associée au théâtre de Sartrouville. Elle chante dans un premier temps avec son frère Photis puis s'engage dans une carrière soliste mais non sans partenaires. Elle chantera avec Nena Venetsanou, s'entourera de musiciens tels Henri Agnel ou aujourd'hui Katerina Fotinaki.
Si elle chante depuis toujours les poètes grecs, elle porte aussi les paroles d'autres. Ce sont les mots du journal de Frida Kahlo, les poèmes de Pablo Neruda, les chansons nomades grecques, espagnoles et françaises comme Le clown de Giani Esposito.
Complément de PPierre Kobel
Commentaires