L’expression « Poète maudit » empruntée à l’ouvrage de Verlaine « les Poètes Maudits » désigne aujourd’hui un poète dont le talent d’accès difficile a été incompris de ses contemporains, puis reconnu post mortem, et qui a rejeté les valeurs de la société en se conduisant d’une manière provocante, dangereuse et autodestructrice.
Font partie de cette lignée, Verlaine, Villon, Nerval, Baudelaire, Lautréamont, Mallarmé, Artaud, et quelques autres dont Olivier Larronde.
Rien, pourtant, ne prédestinait celui-ci à ce destin hors normes. Il naît en 1927 dans une famille bourgeoise. Le père est journaliste, critique littéraire, poète, et la mère, un peu fantasque, est férue de parapsychologie Les première années du jeune Olivier sont heureuses, passées en compagnie d’une sœur cadette très aimée.
Et puis, dans cet édifice heureux se glisse une faille : le père meurt dans la débâcle de 1939, suivi par la brillante petite sœur qui disparaît à quatorze ans.
Olivier, très affecté, est pris en charge par son grand-père à Saint Leu, et poursuit ses études dans un collège de frères maristes dont il supporte si mal l’instruction qu’en classe de troisième, il décide d’en rester là et il écrit à sa mère : « …absolument incapable d’assimiler sans vomissement ce tissu de monstruosités et de balourdises qui forment l’enseignement classique que je ne peux ni ne veux accepter la moindre transaction avec mes convictions, mes sensations, la moindre transaction avec moi-même… »
De retour à saint Leu, ce cancre de génie se nourrit des grands poètes, en assimile la quintessence et il écrit les premiers textes de son recueil, les barricades mystérieuses.
Gelée blanche
Neiges de deux hivers ne se reconnaîtraient
Ni vous ne figerez les plis de mon eau froide,
Gel du poème, Ou son fouillis ne ferez roide.
— Plus que de l'épervier les demeures m'effraient,
Quand l'aurore me donne à sa serre féline,
Plus l'indiscret oiseau dont je suis la volière :
Mésange — cœur de fraise — aux tortures encline
Qui me met en morceaux comme on casse les œufs.
In Les barricades mystérieuses, Œuvres poétiques complètes © Le Promeneur 2002 p 37
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Que n'osent-ils goûter la langue bleue du ciel ?
La bouche en cœur, à chatouiller des clairs de lune,
Va siroter le lait des aubes, gare, gare,
Des sphinx tête de mort sont issus de l'écume
De leurs regards,
La nuit portée sur les épaules de leurs ombres ,
Aux bovines fadeurs, dont les pas sont des âges
(Serpents, sonnez le vide à leurs gestes qui sombrent).
Aux branchages sèches ressemblent les sauvages,
Seuls, qui dans la détresse des vents se décrassent
Et dans les fumants sacrilèges débandés
(Serpents, sonnez le vide !) et sous leurs carapaces,
Les morts, méditatifs comme des scarabées,
Que n'osent-ils goûter la langue bleue du ciel !
Ibid. p. 43
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Sonnet du menteur
Par exemple, menteur saigne
Ta langue, et rougit comme l'eau
Cette joue voisine du feu.
Un mensonge nous colore,
Presque. Dresse tes mains au jeu
Des langue, fleur, et flamme ; alors
D'une curieuse haleine en plumes,
Je rapproche ventre qui bouge.
Ma bouche au tisonnier j'allume,
N'espérons plus s'il n'est rouge.
Vexé que mon cœur déteigne,
J'efface tout et je signe
(Profitant du doigt qui saigne)
Sur un arbre des dimanches.
Ibid. p.65
À l’âge de seize ans, il décide malgré une grande timidité, de se rendre à Paris,et fait la connaissance de Cocteau qui le décrit ainsi : « … Ce sourd, cet aveugle, ce boiteux, retrouve dès qu’il récite ses poèmes un incroyable aplomb.Un élément animal le transfigure et provoque sa métamorphose. : voilà que cet inapte, noué de fond en comble, se dénoue, parle, voit, écoute, bouge ses mains et ses pieds avec l’aisance que provoque le songe…Il me semble difficile d’imaginer un meilleur exemple de ce dramatique porte-à-faux, de cette grâce qui expose celui qui la possède à la pire des solitudes… »
Par l’intermédiaire de Cocteau, il rencontre Jean Genet qui le présentera par la suite, en fin d’année 1944, à son éditeur Marc Barbezat, et c’est celui-ci qui éditera son premier ouvrage aux éditions de l’Arbalète.
Cette publication va contribuer à le faire connaître du milieu littéraire parisien et susciter l’attention d’écrivains consacrés comme Michel Leiris, ou Raymond Queneau.
Le jeune poète parvenu à un sommet va désormais en descendre peu à peu la pente en compagnie de son compagnon Jean-Pierre Lacloche. Ils mènent une vie de dilettante fréquemment cassée chez Larronde par des crises d’épilepsie récurrentes qu’il tente de soulager par l’opium.
Il va ensuite abandonner peu à peu l’écriture et troquer la pipe pour la bouteille de rouge suivant là l’inéluctable chemin d'épines qui le mènera au cimetière de Samoreau où il repose depuis 1965 à côté de la tombe de Mallarmé.
Midi
ma bouche
un verbe haut
Et nuit pour l'air sous son empire
N'est baiser aux clartés si chaud
Qu'il étouffe un noir qu'elle expire.
Baiser ! l'étincelle à ta peau
Faste panthère ou le chat pire
D'un œil trouant ta peau drapeau
Du noir que lumière désire.
À midi qui viole, torée
Ma nuit te promené-je écrin
Hermétique et riant sans frein.
Par la seule ortie pénétrée
A saveur d'étoile
or ne crains
Du jour l'assiégeant visage :
Mes yeux couleur du paysage.
In Rien voilà l’ordre Œuvres poétiques complètes © Le Promeneur 2002 p. 96
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Fugue
Retirez-vous mon cœur d'un si grave appareil.
D'après, d'avant, les coups ont entre eux l'étincelle.
Constant, le choc muet de la mort vous cisèle,
Cœur vanté... brûle... saoule un atroce organiste.
Va belle main écrite où l'idée s'organise
Déchire l'encre en moi quand le reste appareille.
ibid.p.105
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Foyer
Comme dans la fourrure d'un beau chat tutélaire
cette main qui se réchauffe sur ton sein, c'est tous les
gestes glaçants d'un échafaudage d'une mort.
C'est tout, c'est tout ce que j'ai qui touche tes chairs,
leur propre bûcher avec plus de fraîcheurs, de tiédeurs,
de lenteurs que les roses séduisantes dans leurs
travaux vers la cendre.
ibid p.114
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Vendange
La fleur déclose
me prive de tout comme elle s'abandonne
en fruit. Mon sang charrie des glaçons, fleur
de la récolte quand le cortège de ce soir m'ouvrira les
veines.
Meuniers, ramoneurs et ceux que le sel a déteints,
mes démons se laissent apparaître, vêtus de soufre et
plus près des papillons pour cette race légère que saura
fixer une pointe dans l'aile. A des fleurs les papillons
font l'amour, eux vont aux baisers des fruits.
Délaissant ces bouches entr'ouvertes qui pendent aux
branches, d'un galop les vendangeurs passeront fouler
mon corps
une grappe de leur vigne.
ibid p.117
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Au bois
Terreurs enracinées vous ai-je visitées !
Cognant mon front pendable à vos transes parentes.
Le dix-corps lui, sacré de branches affluentes
Sous leur poids se dérobe, avec agilité.
Ibid p..124
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Lever
La belle aube est nimbant de ses charmes polaires
Les brûlures d'un ciel aux corbeaux ravissants...
Leur souffle soit mon souffle et leur essor m'arrache
À l'ombre en tous les coins par ses chiens dévorée !
ibid p.125
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Tu es mon auréole absente
Mon armure enflammée, si je me désaltère
À ce fleuve d'absence il irrigue ma terre
D'angoisse — où je me vois comme un dragon sans feu
Sans arme, sans éclat,
mais reposant ses yeux.
ibid. p.130
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Vipère affreuse...
Vipère affreuse harmonise tes nœuds
Ferme la boucle — ou méandrez en couple :
Deux corps sans chaleur sont rien qu'armes souples
Tracé de l'être à son pic vénéneux.
Tiède la mort près du métal de Toi !
Le froid dans l'homme (au face à face habile)
Vainc le Phoebus réciproque
Ô Reptile.
ibid p.160
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Migrateur pris
Mortes couleurs de mauvais temps
Novembre en plumes de voyage
— Autant en portent les autans —
Seul des vols reste ce langage
Pris à la source en la quittant
Dont un reflet tenait en cage
Sourire outremer des printemps.
ibid p.162
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Un clair matinal de lune,
Est à boire par ta bouche
Les mains se sentent des bêtes
A rien prendre sur nos lèvres.
Laissons-les jouer entre elles
Lionnes et saintes-nitouches
Laissons-les nous épouser
Leur toucher ne met qu'une ombre
Sur tes infinies surfaces
Que le baiser en puissance
Fera tourner comme un ciel.
In L’arbre à lettres. Œuvres poétiques complètes © Le Promeneur 2002 p.202
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Le banquet
L'ombre amoncelle et ton amour s'y craque,
Né du désir qui me chassait de toi,
T'ouvrant sa foudre où le noir fait mon toit
Quand s'y reçoit un double de mes actes,
Autant d'entrées où souffrir veut sa loi
Que de piliers taillés dans les blessures
Multipliées par nos chairs à l'étroit
Pour s'orchestrer au banquet sans morsure.
Celui qui bat invite à ses silences
Chaque chose autre où des futurs s'élancent
Dans l'escalier de ce don perpétuel
Comme ostensoir de votre cœur rituel.
Ibid p. 228
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Don d'une larme
Quels coups de griffes et de dents
Pour la naissance d'une larme !
Maman,
celles que je t'ai prises
Dont toute ma ruche se gorge
(Fleurs du miel qui parfumera
Nos deux âmes comme une haleine),
Voudraient que leur sœur orpheline
Trouve une crèche sur ta gorge.
Ibid p.245
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Que j'aime à m'endormir sur le drap de ta peau
Comme un autre à pourrir dans les plis du drapeau.
Ibid.p. 350
En 2002, à l’occasion de la publication des œuvres complètes d’Olivier Larronde par le Promeneur ; Florence Trocmé a écrit pour le site Littérature.net un très intéressant article sur le sujet :
…C’est que l’œuvre est difficile, jouant sans cesse de la « superposition, de l’entrelacement, l’entassement des sens multiples » avec tout un travail sur la forme souvent « classique ».
…La langue de Larronde est superbe et s’organise selon une syntaxe souvent désarticulée, témoin d’une grande violence de l’expression et reflet d’une appréhension du monde complexe soumise à de puissantes tensions.
Dans une toute autre veine, Jean-Pierre Lacloche qui a vécu jusqu’à la fin auprès d’Olivier Larronde dresse un portrait du poète en une « vie brève » qui donne un aperçu poignant d’une existence aussi intense que radicale…
Olivier Larronde aura finalement fait mentir l’adage qui fait du poète maudit un inconnu de son vivant seulement reconnu après sa mort, puisqu’il connut, au cours de sa courte vie une certaine gloire littéraire, et qu’il est injustement oubliée aujourd’hui.
Bibliographie
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" Rien voilà l'ordre ", illustré de 31 dessins d'Alberto Giacometti, © L'Arbalète / Barbezat, 1959.
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L'Arbre à lettres, ©L'Arbalète, Décines, 1966.
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Les Barricades mystérieuses,© L'Arbalète, Décines, 1990.
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L'ivraie en ordre : poèmes et textes retrouvés, Textes réunis par Jean-Pierre Lacloche avec le concours de Patrick Mauriès,© Le Promeneur, Paris, 2002.
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Œuvres poétiques complètes,© Le Promeneur, Paris, 2002.
Internet
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Sur le site écrits-vains.com, un article de Joe Ferami intitulé Olivier Larronde ou l’archange poète
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Sur Ornithorynque, Le Théorème d’Olivier Larronde
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Sur le site e-littérature.net, un article de Florence Trocmé de 2002 à l’occasion de la publication des œuvres complètes d’Olivier Larronde chez Le Promeneur.
Contribution de Jean Gédéon
Excellent article qui permet de présenter tout en le démystifiant le parcours d'un "poète maudit" dont les vers émerveillent. Merci
Rédigé par : Fulvio Caccia | 28 juin 2012 à 12:25