Mon ami Emmanuel Berland à qui l'on demandait un jour ce qu'il pensait du slam répondit, en évoquant les poètes, qu'ils existaient avant. Certes, et d'aucuns peuvent s'étonner que je publie ici un texte de slam. C'est, plus qu'un clin d’œil, l'occasion d'écrire ici combien les scènes slam ont permis, avec leur dynamisme et leur spontanéité, parfois brouillonne mais le plus souvent sincère, de ramener sur le devant l'expression orale du texte quand des décennies de formalisme, quand les recherches structuralistes avaient mis la poésie dans une camisole et surtout, l'avaient coupé du grand public, contribuant à sa marginalisation et à sa méconnaissance. On voudrait parfois que les gens du slam aillent se nourrir plus amplement aux pages des poètes et contribuent à ce que des passerelles fructueuses s'établissent, des échanges s'opèrent. Leur art a une résonance joyeuse et provocatrice, il met du mouvement et de l'énergie aux paroles endormies, il nous rappelle combien il est fondamental pour les poètes de ne pas s'isoler dans leur tour d'ivoire et leur pré carré.
ROMANCE CALLIGRAPHIQUE
Écriture, tu me mènes la vie dure.
Ça fait pourtant longtemps que j’voulais te connaître,
Mais depuis notre rencontre j’ai la tête pleine de lettres.
Je ne remets pas en cause notre aventure !
Je voudrais juste que par moment, ça s’arrête.
Faire une pause dans cette overdose de prose. Mais tu t’y opposes.
Tu harcèles ma cervelle de voyelles,
Tes consonnes résonnent comme des klaxons dans mon crâne qui fusionne !
Et quand au bord du malaise j’essaie de faire le point,
Tu repars en thèse, tu sers les poings.
Tu t’interroges,
Tu t’exclames qu’il est impératif que je sois créatif
Pour ne pas que nos attraits d’union restent en suspension.
T’as peut être raison…
Écriture, tu me mènes la vie dure.
Mais comment résister à ton appel plus que parfait,
Moi qui ne suis qu’un poète imparfait.
Inconditionnel de tes murmures.
Avant notre liaison, mon passé était composé de souvenirs et de quelques projets d’avenir.
Mon présent est simple et se résume en deux points :
Travail et vie de famille que je conjugue avec soin.
Mais maintenant que tu t’immisces dans les interstices de cette vie lisse,
Mon futur s’annonce tortueux,
Depuis tu m’as greffé sur les oreilles et les yeux des corps spongieux
Des éponges qui se gorgent des petits riens dont le quotidien regorge,
Et les distillent en gouttes d’encre, qui une fois dans mon ventre,
Me rongent les songes.
Heureusement que l’alambic se termine par mon Bic, qui d’un simple déclic s’applique
À piquer les rimes qui se marrent de se mirer dans des rames de papier !
Pour mon stylo pas d’anicroches, il file un coup d’taloche aux syllabes moches,
Et fait quelques encoches aux belles pour qu’elles s’accrochent entre elles.
Cet ami qui jusqu’ici n’était pour moi qu’un outil,
Est devenu ni plus ni moins que le témoin de notre romance.
Il en est l’essence. Et même si parfois il entre en transe et s’égare en double sens
Je pense qu’il y a de bonnes chances pour qu’à nous trois on avance.
Alors écriture, c’est vrai que tu me mènes la vie dure.
Mais aux vues de c’que tu m’procures, une chose est sûre :
J’ai envie qu’ça perdure. Et je te jure que chaque jour, je te ferai la cour,
En espérant que notre amour soit scellé pour toujours.
Pascal Mancel exerce son talent de slameur, sous le nom de Foksapass, sur les scènes parisiennes et de banlieue. Né en 1972, il est venu à l'expression écrite et au slam en autodidacte.
Internet
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Foksapass sur Dailymotion
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Myspace de Foksapass
Contribution de PPierre Kobel
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