J'entends à la radio qu'à Marseille de bons Français se chargent d'expulser eux-mêmes un camp sauvage de gitans, sans faire de victimes cependant, avant d'y mettre le feu ; le substantif n'a plus grande importance tant ces gens du voyage ont pris l'habitude d'être victime de la vindicte publique à travers les siècles, sous l'un ou l'autre régime politique.
Il se trouve que le même jour, ouvrant un recueil des textes écrits par Xavier Grall, sous le titre Les vents m'ont dit, paru chez Calligrammes en 1991, je tombe à la page 67 sur ce billet du 8 mars 1979, destiné au journal La Vie, pour lequel il écrivait chaque semaine de sa lointaine Bretagne et sans jamais mâcher ses mots à propos de faits d'actualité :
Tombe gitane
C'est vrai : le film Holocauste aura fait couler beaucoup d'encre. A la mesure du sang versé par le peuple juif. Etait-il même versé ce pauvre sang ? N'était-il pas plutôt figé, glacé dans cet effroyable décharnement des corps, ces corps que les Nazis jetaient comme bois et tourbe dans la gueule des crématoires ? Oui, il fallait que l'abjection raciste nous fût redite dans toute l'étendue de son horreur et de son imbécillité. Après la projection d'un tel film, on peut se demander, entre parenthèses, quel jeune Allemand ou quel crétin osera arborer des insignes hitlériens ? Ou quel horrible trafiquant osera en faire commerce...
Ceci dit, un holocauste en cache un autre. Je n'ai jamais vu de film sur le massacre des Gitans. Ils furent des milliers, ces hommes aux semelles de vent, à prendre, eux aussi, le chemin des crématoires. Leur dernier chemin...Ils étaient sans lieu : Hitler leur en trouva. Ils étaient sans feu, il les alluma. A Dachau, à Ravensbrück ! C'est que ces nomades d'incertaine race, libres comme l'air, teint cuivré, yeux noirs, n'étaient point de la famille allemande. Haro sur le gitan, adieu Tzigane !
Sur quel air de violon ceux-là sont-ils morts ? Où, en quel pays, s'élève une stèle à leur mémoire ? Sur ces sacrifiés, avez-vous jamais entendu un requiem ? Malheur à ceux qui n'ont pas d'Etat, voire de statut ! On leur a flanqué les chiens aux jambes. On a tué leurs chevaux. On a détruit leurs tribus. Ils avaient Dieu pour maître et le vent pour royaume ; Voilà qui était trop : on ouvrit les fosses et ils ne chantèrent plus...
Je pense souvent à cet holocauste-là quand je vois dans l'été, les roulottes gitanes ramer sur nos routes. Et je me dis alors que ces autres errants ont trop payé de larmes et de sang leur amour du voyage pour que je ne les salue pas. C'est un peu de la liberté qui passe . Et le silence. Et contre tous les tueurs, et contre tous les gardes, champêtres ou pas, moi je leur tire mon chapeau...
Il est vrai qu'il ne s'agissait peut-être, à Marseille, que de Roms et non de Gitans ou de Tzigagnes, ils n'étaient, direz-vous, que des gens de race incertaine et sans statut, - allez savoir quand ils ont juste un camping-car -, mais ceux qui se sont chargé d'y mettre le feu n'ont certainement pas pris le temps de les saluer et n'ont jamais lu les billets du défunt Xavier Grall.
Contribution de Roselyne Fritel
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