Ce poète, figure importante de la littérature brésilienne, est né à Belo Horizonte en 1937, dans une famille protestante modeste. Pensant avoir une vocation de prédicateur, il a, dans son adolescence, prêché l’évangile dans les prisons, les bidonvilles, et les hôpitaux, et on peut penser que cette expérience de l’extrême pauvreté a influencé plus tard son œuvre poétique à fort contenu social.
Il est docteur ès lettres, et il a enseigné dans de nombreuses universités brésiliennes et étrangères, notamment américaines, allemandes et françaises. Très actif, il a, par ailleurs, comme journaliste de presse et de télévision participé aux mouvements d’avant-garde brésiliens qui ont marqué son pays,
Afin d’y faire accéder le plus grand nombre de ses concitoyens, il a, aussi, comme président de la Bibliothèque Nationale réalisé entre 1990 et 1996 la modernisation technologique et informatique de l’institution et a multiplié le nombre de ses relais dans chaque comté du pays
Il a aussi vigoureusement œuvré, par ses travaux de journaliste, ses conférences internationales, ou les lectures radiophoniques de ses poèmes, pour que la poésie soit répandue le plus largement possible au Brésil et dans le monde
Son œuvre poétique influencée par celle de Carlos Drummond de Andrade à qui il a consacré en 1972 sa thèse « Drummond la gauche dans le temps » couronnée par quatre prix nationaux, s’est démarquée peu à peu des avant-gardes pour s’engager dans l’anti lyrisme, avec un style où se marient émotion, ironie et objectivité.
Les deux poèmes qui suivent en sont un exemple.
Implosion du mensonge
1
Ils
m'ont menti. Hier ils m'ont menti
et aujourd'hui ils mentent
nouvellement. Ils mentent
corps et âme, complètement.
Et ils
mentent de façon si évidente
que je pense qu'ils mentent
sincèrement.
Ils mentent surtout impuné/ment.
Sans
tristesse. Ils mentent
joyeusement. Si nationale/ment ils
mentent
qu'ils pensent qu'en mentant à l'Histoire
ils
tromperont la mort éternelle/ment.
Ils mentent. Ils mentent
en dissimulant. Mais leurs mots
parlent pour eux éloquemment.
Leurs mots défilent si misérablement
que même un aveugle
verrait
leur vérité en lambeaux dans la rue.
Je sais que
la vérité est difficile
et qu'elle est dure ou obscure à
certains.
Mais la vérité ne naît pas
du mensonge, ni la
démocratie
de la dictature.
2
Évidemment, à
croire
ceux qui me mentent
une fleur est née à Hiroshima
et
à Auschwitz se trouvait un cirque
permanent.
Ils mentent. Ils
mentent caricaturale-
ment :
Ils mentent comme la
calvitie
ment au peigne
ils mentent comme le dentier
ment à
la dent
ils mentent comme la charrette
à la bête qui marche
devant
ils mentent comme la maladie
au malade
ils mentent
claire/ment
comme miroir transparent.
Ils mentent
effronté/ment
comme ne ment aucun arracheur de dents
devant la
douleur de son patient. Ils mentent
le visage serein et les mains
pleines
de sang humain. Ils mentent
ardem/ment comme un
malade
dans ses instants de fièvre. Ils mentent
fabuleuse/ment
comme le chasseur
dans ses récits de chasse. Et sur les sentes du
mensonge
c'est le gibier qui prend le chasseur
à son propre
piège.
Ainsi de tout
industrielle/ment, on
ment
idéologique/ment, on ment
incivile/ment, on
ment
tropicale/ment, on ment
intempestive/ment, on
ment
héréditaire/ment, on ment.
On ment, on ment, on ment.
Et
de tant mentir si tenacement
se construit un pays
de
mensonges
journellement.
3
Ils mentent au passé.
Présente/ment
ils passent au propre leurs mensonges. À
l'avenir
ils mentiront nouvellement.
Ils mentent à faire
tourner le soleil
autour de la terre moyenâgeuse/ment…
En
cela cette fois ce n'est pas Galilée
qui ment
mais le tribunal
qui le juge
hérétique/ment.
Ils mentent comme si Colomb
partant
de l'Occident vers l'Orient
pouvait découvrir
mensongèrement
un continent.
Ils mentent depuis Cabral,
voyageant obscurément,
par calme plat, trompant la course
du
courant, transformant l'histoire du Brésil
en un simple incident
de parcours.
4
Autant de mensonges ainsi organisés
me
feraient traverser le désert
pénitem/ment, ou m'exiler
avec
Mozart musicale/ment en harpes
et hautbois, comme un soliste dans
les bois
jouant la vie indifférem/ment.
Je pense aux
animaux qui jamais ne mentent
même lorsque le chasseur s'en vient
devant.
Je pense à la vérité de l'oiseau
dont le chant me
hante
matinale/ment.
Je pense à la vérité des fleurs
de
la couleur desquelles naîtra le miel
abondamment.
Je pense
au soleil qui meurt journelle/ment
éclatant de lumière
malgré
la nuit le menaçant.
5
Page blanche où je m'écrie.
Unique espace
de vérité qui m'est laissé. Où je transcris
mes
transports et mon espoir. Où tôt
ou tard, je dépose mes peurs
et mon effroi.
Devant tant de mensonges, seul un
poème
explosif/connotatif
où l'adverbe et l'adjectif ne
mentent pas
au substantif
où la rime crève l'ordonnance de la
syntaxe !
Et le mensonge répugnant,
s'il ne vole en
éclats,
s'écroule intérieurement
— implosé.
In Anthologie de la nouvelle poésie brésilienne © Éd. l’Harmattan, 1988, p 64 - Trad. Serge Bourjea
****
Les disparus
I
En
ce temps-là, soudainement
des gens commencèrent à disparaître,
étrangement.
On disparaissait. Disparaissait beaucoup
en ce
temps-là.
On allait cueillir la fleur offerte
et l'on se
dissipait.
On s'éclipsait entre une adresse et une autre
ou
bien dans le taxi, qui vous emportait.
Coupable ou non, on pouvait
s'évanouir
au retour du travail comme du plaisir.
Entre un
verre de Cognac
et un signe de la main, le buveur partait en
fumée.
S'évaporait le père sorti
à la rencontre de la fille
qui jamais n'apparaissait.
Des mères avec provisions et
enfants,
des femmes enceintes et des groupes
d'étudiants,
disparaissaient.
Disparaissaient des amants au
milieu du baiser
et des chirurgiens en pleine chirurgie.
Des
mécaniciens s'effaçaient en un tournemain
sans avoir bouclé
leur journée.
On disparaissait. Disparaissait beaucoup
en ce
temps-là.
On disparaissait à vue d’œil
et ce n'était pas
par myopie. On disparaissait même
en garde à vue. Il suffisait
que quelqu'un avisât un disparu
et le disparu
disparaissait.
Disparaissait le plus en vue
comme le dernier
des inconnus.
Même les députés et les présidents
s'esquivaient.
Des religieux s'en allaient également,
en
lévitant, vérifier dans l'au-delà
comment les pécheurs leur
étaient dérobés
sans l'absolution de leurs péchés.
On
disparaissait. Disparaissait beaucoup
en ce temps-là.
L'acteur
en scène
entre un geste et un autre, et le public du
parterre
pendant qu'il riait…
Non ce n'était pas aisé
d'être
poète en ce temps-là.
Parce que les poètes, surtout
—
disparaissaient.
II
Aux temps bibliques j'aurais
dit
que des chariots de feu foudroyaient les innocents
en une
mystique euphorie.
Mais ce n'était pas en ces temps-là.
Ironiquement.
Et ceux qui pouvaient témoigner,
effrayés,
feignaient qu'ils ne voyaient pas. ils
s'absorbaient
dans l'abstrait.
Ils continuaient la partie de
cartes et conversaient
avec l'absent, comme s'il était là,
souriant
avec ses dents, ses vêtements.
En chaque foyer la
table avait
sa place vide, vers laquelle on se tournait.
On y
servait le repas froid du parent escamoté
et cela nourrissait les
illusions
— dans les salons et les idées.
Pendant qu'au
Palais du Gouvernement, des remords vivants
flottaient
— dans
la soupe du Président.
Les fleurs devant ces scènes ne
comprenaient plus.
Elles interrogeaient les oiseaux, qui ne leur
disaient rien.
Aux fenêtres des maisons, on n'en croyait plus ses
yeux.
— Les pierres pourtant
portaient gravés les noms des
absents
et savaient que lorsque l'heure viendrait,
pour être
des pierres, elles parleraient.
Le disparu est semblable à la
rivière :
— s'il a sa source, il a son port.
S'il eut un
corps, il a ou il aura sa voix.
Et un ver, aussi rongeant qu'il
soit,
ne détruit pas le nom qu’il a porté. Le nom
reste
dans les viscères de la bête,
et c'est la victime qui finit par
dévorer
son bourreau.
III
Alors apparurent les
signes évidents
que les disparus
lassés
de disparaître
vivants,
même morts voulaient renaître,
fleurissant de leurs
corps
un printemps de squelettes.
Poussaient des bourgeons
sur les arbres,
naissaient sources, insectes, nuages,
en
lesquels se retrouvaient ouvertement
les vestiges de leur
passage.
Les disparus enfin
avaient mûri leur longue
mort.
Un jour un tibia creva
la croûte sèche des jours
et
dans les sous-sols de l'histoire
— enfouis sous tant de
martèlements,
commencèrent d'amères archéologies.
La
nature comme l'histoire
étouffent la mémoire comme la vie
et
tôt ou tard rallument
la vérité dans l'éclat d'une aurore.
Il
n'y a pas de tombe si profonde
que s'y abîme et s'oublie
la
basse lâcheté.
Il n'est pas de fosse pour
dissimuler la
promesse des révoltés.
Tombe un jour en disgrâce
la plus
honteuse dictature
quand les vivants sortent sur la place
et
les morts de leur sépulture.
Ibid p72 - Trad. Serge Bourjea
Internet
-
Sur Wikipedia, un article en anglais sur le poète.
Contribution de Jean Gédéon
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