Ce concert fut donné le jeudi 22 novembre 2012, aux Ateliers d'Art à Saint-Maur des Fossés, Val de Marne, dans le cadre de la Triennale Gravure Passion, organisée par Brigitte Perol-Scheiner, sa fondatrice et organisatrice, du 10 au 25 novembre 2012. Artiste, graveur et sculpteur, elle y convie artistes et amis du monde entier de son choix.
Devant une grande estampe sur bois en couleur, évoquant le Printemps, du japonais Tsuzen Nakajima, des chaises sont installées pour un public nombreux. Trois jeunes artistes japonais sont présents, en accord parfait avec le décor.
À
quoi rêvent-ils dans les fleurs
Les papillons
Muets
Reikan
Deux d'entre eux arrivent directement du Japon, Kaho Aso, ravissante jeune femme en kimono traditionnel, joue de la flûte de bambou, et du tambour d'épaule, tsuzumi, chante et danse tandis que l'athlétique Keita Kanazashi, en kimono lui aussi, officie aux tambours japonais. Le troisième, Hidehito Naka, joue de la clarinette. Il parle un peu le français.
Ils se proposent de jouer Michi, Solitude et Folksong Medley.
Une initiation au tambour japonais doit suivre le concert.
La jeune femme, toute grâce et intériorité, se tient de profil, recueillie, le regard baissé, diaphane sous son chignon noir, immobile et sanglée dans un kimono de soie rose orangé, couvert de fleurs, sa haute ceinture argentée lui donne le port altier mais quand elle se retourne le nœud, brillant et charnu, dans le creux de son dos, luit tel un insecte géant égaré parmi les fleurs.
Parmi
les œillets
Ce papillon blanc
Une âme ?
Shiki
Elle porte sur l'épaule comme un sablier noué de cordelettes de soie rouge, un tsuzumi. De temps à autre, elle regarde à l'intérieur comme si elle guettait la lune ou la mer du bout d'une lorgnette. Les tambours roulent assourdissants sous les coups de Keita, qu'il ponctue de cris rauques. Elle, frappe du plat de la main l'extrémité du sablier et émet des sons brefs de la voix, tandis que joue le clarinettiste.
Il s'agissait de Solitude, nous annonce ce dernier.
Hidehito annonce le morceau suivant, une création, qui évoque le printemps, l'été, l'automne et l'hiver.
En effet, peu à peu les saisons changent, un merle siffleur pousse un cri très aigu, presque déchirant à l'oreille, transpercée de part en part. La clarinette reprend plus nostalgique. L'automne peut-être. Course poursuite dans les bocages. Sons de grelots. La jeune femme entame un solo à la flûte de bambou. Un son très pur, suspendu dans l'air, qui fraîchit ; je crois reconnaître « Douce nuit » puis l'air se précise, repris par la clarinette, c'est bien Douce Nuit et Noël est là !
Les
yeux sont à l'horizontale
Le nez est vertical
Les fleurs
viennent au printemps
Onitsura
Hidehito propose : “une chanson arrangée par nous-mêmes, Le Chemin”. Tout le monde, dit-il, a son propre chemin, mais il nous arrive de nous perdre, à chacun d'emprunter le sien.
Les tambours ouvrent la marche, la première flûte enchaîne, la deuxième, est comme un écho. Lente avancée, scandée par les tambours de plus en plus présents, envahissants, assourdissants. Cris aigus des flûtes pour tenter de les couvrir. – les Japonais sont spécialistes des aigus, qu'ignorent nos tympans ! – Il y a foule sur le chemin, il devient difficile de se frayer un passage, mais chacun persévère.
Si
l'on écoute bien le tonnerre
On entend mille et mille
bruits
Différents
Shiki
Suivent “des mots en japonais sur une création de Stravinski”.
La jeune fille lève le front et sourit, main en coupe vers la bouche, mains qui s'envolent, séparement, oiseaux pâles et fragiles, ébauche lente d'une danse, qu'accompagne la flûte de bambou.
D'abord presque immobile puis vive, tournoyante, rythmée par les tambours. Elle danse, l'oeil au loin, très loin, les mains perdues au fond des manches, jusqu'à ce qu'en surgisse un éventail mordoré. À l'arrière, la flûte n'est plus qu'un feu follet, la danseuse aussi, enfin tout s'apaise et la jeune fille sourit pour la deuxième fois.
Soudain, tambours de guerre. Prouesse, force, fureur, emportement. Keita se dresse de son siège tout en frappant, de plus en plus vite, de plus en plus fort jusqu'au dernier coup, ponctué d'un cri sauvage. La clarinette court alors sur l'eau telle une brise impatiente, au risque de perdre souffle, mais en s'en gardant bien !
Prières
pour la pluie
Touchez le ciel
Tambours battants
Shiki
Elle, hiératique, tape d'une main sur le sablier musicien. Visage tourné de trois quart d'une grande beauté, regard perdu comme dans un lac. Soudain des sons, “row, row”, nés de sa voix, “yo, row,” encore et encore, puis un cri long, poignant, qui s'éteint avec les battements ténus de son instrument, pour reprendre plus haut, d'une ou deux octaves. Soudain, le tambour s'en mêle et s'avance comme une procession à ses cotés. Elle ne crie plus, si, encore une fois, longuement, tandis que roule le tambour comme un orage lointain. La main frappe toujours le tambour d'épaule comme autant de talons sur le pavé. L'orage s'éloigne, reste juste des battements de silence, puis il revient avec de nouveau les cris, row, row. Enfin, dans un rythme effréné, les deux musiciens crient ensemble – s'agit-il d'amour à la japonaise ? – et tout se tait.
Chats
amoureux
Vous oubliez même les grains de riz
collés à vos
moustaches
Taigi
Pour clore ce concert, ils proposent une chanson qui se veut un message d'espoir.
Tambour impétueux, flûte et trompette, hyper aiguës. De la même main, la jeune femme frappe toujours le sablier . Je l'imagine enflammée et douloureuse mais elle n'en laisse rien paraître. Le joueur de tambour rit, se dresse, plein d'ardeur et d'entrain. Sous ses mains, un cheval caracole, un train le dépasse en sifflant, une carriole tinte de tous ses grelots. La jeune femme en kimono s'incline sur ses hautes socques et ses chaussettes blanches. Le concert est fini. Tollé d'applaudissements.
L'atmosphère poétique qui baignait l'ensemble de ce récital appelait les quelques haïkus japonais qui ont ponctué sa description. Ils sont tirés de Fourmis sans ombre, Le livre du haïku © Phébus libretto 1999.
Contribution de Roselyne Fritel
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