Daniel Py : Le kukaï est une réunion autour de haïku. C’est un échange, un partage de textes, de commentaires de ces poèmes, et aussi un « concours », puisqu’on y distingue ceux qui ont la préférence des participants. En tant qu’animateur je veille au bon déroulement – et à la bonne humeur ! – de ces séances.
Les
haïkus (3 généralement) de chacun(e) sont inscrits – anonymement
– sur une fiche. Les fiches sont rassemblées, mélangées,
puis redistribuées. Chacun(e) reproduit sur une feuille de papier
(d’une couleur) les haïkus qu’il vient de se voir remettre. On
fait circuler ces nouvelles feuilles autour de la table, afin que
chacun(e) puisse les lire en totalité et cependant l’on
choisit – sur une feuille d’une autre couleur que la première –
les haïkus que l’on préfère, chacun pour soi. Il faut limiter
son choix ensuite à trois haïkus (généralement). Quand tout le
monde a fini ceci, chacun lit à haute voix, à tour de rôle, ses 3
poèmes préférés. L’organisateur les comptabilise, et une fois
le tour de table achevé, on procède aux commentaires des haïkus,
les plus remarqués d’abord. À la fin des commentaires,
l’auteur du haïku en question se dévoile et peut ajouter son
propre commentaire.
Parfois des invités « privilégiés »,
venant ou non de l’étranger, peuvent animer le kukaï à la place
de l’animateur habituel, ou bien parler d’un sujet qui leur
convient. C’est aussi le lieu et l’occasion pour faire circuler
informations et annonces diverses, autour du haïku, principalement.
On peut y aborder aussi – bien que plus rarement chez nous – des thèmes sur les autres genres de la poésie japonaise (senryû, haïbun, etc.) ou sur certains points techniques de l’écriture du haïku.
La Pierre et le Sel : combien de personnes fréquentent habituellement ces rencontres ? Où se tiennent-elles en général ? La durée des séances et l'assiduité des membres ? Leur fréquence ? Comment les participants ont-ils eu connaissance de votre existence ?
Daniel Py : Ces rencontres ont très souvent lieu au Bistrot d’Eustache, dans le centre de Paris. Le nombre des participants varie d’une fois sur l’autre mais la moyenne devrait se situer autour d’une dizaine voire d’une douzaine d’amis. Le nombre est souvent plus conséquent lorsque nous recevons des invités français ou étrangers. Il peut alors monter à 20 personnes voire à 30 comme ce fut le cas tout récemment avec la venue du Japon à Paris de plusieurs membres du Cercle Seegan de haïku. La durée des séances peut varier entre 2 heures 15 et 3 heures trente au grand maximum.
Il y a un « noyau dur » de membres de ce kukaï parisien et ce peut-être depuis le début de l’existence du kukaï – pour quelques uns, depuis moins longtemps pour d’autres. Certains se sont éloignés. D’autres nous rejoignent. Des amis d’amis, des curieux du haïku, des gens qui ont lu des annonces sur Internet, puisqu’un blog spécifique (kukai.paris.free.fr) recense nos activités. Certaines listes font aussi état de nos réunions mensuelles (qui existent depuis maintenant 6 années révolues).
La Pierre et le Sel : depuis combien de temps avez-vous la responsabilité de ce groupe ? En êtes-vous le fondateur ? Partagez-vous cette responsabilité ?
Daniel Py : Je suis le co-fondateur du groupe avec un ami, Christophe Marand, qui a choisi de s’éloigner. C’est lui qui a créé le blog qui nous relaie. Et ce, depuis le tout début de notre aventure. Notre première séance a dû se tenir en février 2007, au bistrot d’Eustache, déjà ! et c’est douze séances par an (à une exception près) que nous animons (hors vacances scolaires). À part quand des invités privilégiés nous rejoignent, je suis l’animateur du groupe, effectivement.
La Pierre et le Sel: comment, et depuis quand, êtes-vous personnellement venu à écrire des haïkus ? Par des amis japonais ? Par la lecture de poèmes japonais ? Écrivez-vous et publiez-vous par ailleurs sous une autre forme poétique ?
Daniel Py : J’en suis venu à écrire des haïkus progressivement, sur un grand nombre d’années dirais‑je, après avoir eu la « révélation » du fameux haïkaï de Buson (le papillon endormi sur la cloche du temple) dans un livre sur le Zen, peut-être celui d’Alan Watts : La Voie du zen, encore adolescent. J’écrivais déjà de la poésie « libre » mais ce n’est que des années ensuite que mon écriture poétique a abouti, plus « concentrée », au haïku.
La première impulsion date probablement de l’année 1970, en voyant la lumière se balancer sur un arbre dénudé, après l’envol d’un moineau, en regardant par la fenêtre de notre salle de cours d’instrument, étudiant au Conservatoire de Paris ; cela m’a pris trente ans ou plus avant qu’il aboutisse à ce dernier avatar : l’oiseau envolé / de la branche la lumière / se balance encore.
Je me suis bien sûr intéressé de plus en plus à la découverte du haïku (et du haïkaï) à travers la lecture d’ouvrages en français et en anglais.
Mes premiers recueils publiés étaient donc d’une poésie de facture libre, mais tendaient de plus en plus vers le haïku. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1990 que j’ai publié quelques recueils de haïkus (et de senryûs).
Les Éditions de la Lune Bleue ont publié récemment un petit recueil de huit poèmes L’arbre debout, qui sacrifient à cette forme de poésie que je pratique plus guère.
La Pierre et le Sel : qu'en est-il des autres membres du groupe ? Connaissez-vous leurs approches et pratiques poétiques ? Quelle est le taux de fréquentation du groupe, la fidélité, l'assiduité et la moyenne d'âge ? Avez-vous parmi vous des étrangers de langue française ? Japonais ou autre ?
Daniel Py : À ma connaissance, certains membres du Kukaï de Paris pratiquent la poésie « occidentale » plus ou moins classique et peuvent assister à d’autres ateliers d’écriture. Beaucoup se tournent cependant vers l’écriture du haïku. Il y a là aussi plusieurs manières d’aborder et de pratiquer le haïku : à la manière japonaise traditionnelle, qui comporte de nombreuses règles, ou à celle plus « moderne », plus libre, qui s’est affranchie de nombre de ces règles.
Certaines personnes viennent « pour voir » et on ne les revoit plus forcément, sauf lors d’occasions particulières. Certaines autres se prennent au jeu et deviennent des « fidèles ». L’âge peut varier entre jeunes adultes et adultes plus matures, voire retraités. La moyenne d’âge pourrait-elle se situer vers 45 ans ? Je n’ai jamais auparavant envisagé ce calcul ! La grande majorité d’entre nous est française de langue française, et probablement même francilienne ! Quelques Japonais viennent parfois, mais c’est très rare. Certains « invités » à nos rencontres sont Belges, Québécois (pour la plupart), Japonais, rarement donc, jusqu’à présent, et il faut alors faire appel à quelque traducteur/trice, puisque très peu d’entre nous sont versés dans cette langue.
La Pierre et le Sel : quel sens donnez-vous, s'il y a lieu, à la diversité des participants, leur assiduité, leur motivation et le large éventail générationnel qui les caractérise, alors que les rencontres poétiques réunissent beaucoup moins d'adeptes, par ailleurs ? Est-ce pour vous un phénomène de société et comment expliqueriez-vous cet engouement pour le haïku ? L'immédiateté et la brièveté de la forme des haïkus conviendraient-elles davantage à notre époque ? Parlez-vous entre membres de vos motivations ou du plaisir d'être là ? Contrairement à d'autres lieux de rencontre poétique, il semble régner chez vous une grande convivialité et une absence totale de rivalité, comment l'expliquez-vous ?
Daniel Py : Il me semble que ce qui entraîne l’assiduité - le succès ? - de nos réunions, c’est avant tout la passion commune qui nous anime pour ce genre poétique minimal, simple en apparence, mais (très) exigeant si l’on veut atteindre à la qualité – ce qui est, à mon avis, le but de la plupart d’entre nous. Ne fréquentant pas d’autres groupes poétiques, je ne saurais donc établir de comparaisons valides ! Il me semble probable que notre époque de vitesse (à tout prix), de zapping accéléré, puisse donc apprécier cette forme très brève de poésie…
Nul besoin de parler entre nous de nos motivations ! Elles nous sont probablement évidentes. Il suffit peut-être d’être témoin(s) de notre bonne humeur et de notre « entente cordiale » pour ne pas avoir à se poser de questions sur le plaisir de se retrouver ainsi régulièrement pour partager nos bons et nos moins bons poèmes. La fréquentation régulière de notre kukaï nous apprend d’une certaine manière l’humilité puisque nos haïkus peuvent être remarqués lors d’une séance puis n’attirer aucun « intérêt » la fois suivante. Nous y apprenons donc un certain sens de la modestie, et de ne pas nous prendre trop souvent au sérieux !
La Pierre et le Sel : entretenez-vous des relations avec d'autres Kukaïs, à Paris, en France, ailleurs et au Japon ? Sous quelle forme ? Je crois savoir que vous venez de vivre un temps fort dans ce sens, pouvez-vous m'en parler ?
Daniel Py : Il arrive que certaines personnes d’autres groupes de haïku se joignent au nôtre, ou que nos kukaïstes participent à d’autres rencontres ailleurs. Rien n’est figé. Les cloisons ne sont pas étanches. Chacun est libre !
Il est arrivé que des « curieux » viennent y apprendre comment organiser-animer un kukaï qu’ils ont eux-mêmes ensuite entraîné, ou que quelque journaliste vienne y glaner de « précieux » renseignements en vue d’articles ou d’ouvrages ultérieurs.
Pendant un temps nous avions établi une relation avec un kukaï au Québec, avec échange de textes. Très dernièrement, à l’occasion du voyage à Paris d’un certain nombre de haijins du Cercle de haïku Seegan (de Laurent Mabesoone) basé au Japon, nous avons organisé, conjointement, un kukaï « exceptionnel » puisque des membres du France Haikukai (fondé en 1999 à Paris et regroupant des haïkistes presque uniquement Japonais) et du Enkukai (initié par la poétesse Madoka Mayuzumi – que nous avions reçue par deux fois – lors de son long séjour officiel en France, il y a environ un an) y ont aussi participé. C’est à cette occasion que nous avons rassemblé le plus grand nombre de personnes (31) pour un kukaï parfaitement bilingue français-japonais.
La Pierre et le Sel : Ces rencontres ont-elles débouché, parfois ou régulièrement, sur des publications, des lectures publiques ? Sous quelles formes et à quelles fréquences ? Passez-vous alors par un éditeur ? Pour ce, obtenez-vous un soutien financier, une subvention et de qui ? Quel est votre statut sur le plan associatif ?
Daniel Py : Au bout de nos premières quatre années d’existence (donc de réunions) nous avons pu, grâce à un de nos très fidèles amis Paul de Maricourt, bénéficier du concours de son ami François Mocaer, qui se lançait dans l’édition, pour publier notre (première) anthologie de haïkus La Valise entr’ouverte. Celle-ci regroupe 150 haïkus environ le dixième des textes que nous avions pu lire et apprécier au bout de ces quatres premières années d’échanges.
Nous comptons renouveler cette expérience à la fin des quatre années suivantes, ce qui nous amènera à fin 2014 (si aucune Fin du monde ne vient nous en empêcher). François travaillant à compte d’éditeur, nous n’avons, heureusement, nul besoin de subventions ni de sponsors !
Ayant eu l’occasion de co-fonder l’Association Française de Haïku en 2003 avec Henri Chevillard et Dominique Chipot, et d’y être actif pendant trois ans environ avant d’en démissionner, je n’avais pas envie de recommencer un mouvement associatif sur des bases similaires. Il n’y a donc aucune structure « officielle » ni administrative à notre groupe. Nulle hiérarchie établie non plus, ce qui évite luttes de pouvoir, tensions probables entre membres de notre groupe qui se veut aussi libre que possible. Les bases sont donc que les communications se font par le biais principal de l’internet. Les réunions sont donc entièrement libres et gratuites. Il suffit aux « membres » de régler leur consommation au bar à la fin de chaque réunion !
La Pierre et le Sel : combien consacrez-vous de votre temps à cette responsabilité d'animation ? Avez-vous d'autres frais et comment les gérez-vous ? Le groupe tourne à une moyenne de combien de participants ? Sachant la bonne humeur et la grande cordialité qui règnent lors de ces rencontres, êtes-vous un responsable heureux ? Que souhaitez-vous nous dire d'autre ?
Daniel Py : Je ne calcule pas le temps qu’il me faut y consacrer. Envois de courriels aux blogs, listes, ou individuellement. Préparation du matériel – dont parfois textes avant les réunions. Envoi des résultats après coup, ainsi que divers échanges. Mais frais sont principalement de papeterie fournie aux participants (cartons, papier). Je les assume.
Quand nous avons besoin d’un traducteur, quand nous voulons inviter un groupe pour le pot du bistrot (comme nos amis du Japon dernièrement), je fais une modeste collecte parmi nos participants, pour en couvrir les frais. Cela a dû nous arriver trois fois depuis la création du groupe !
Étant donné la convivialité évidente et la bonne humeur qui va de pair, on peut dire, effectivement que l’animateur est heureux, et surtout de donner à partager ces moments privilégiés autour de notre centre d’intérêt commun, le haïku.
Bibliographie proposée par Daniel Py pour aborder le haIku
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les ouvrages de grande tenue parus aux éditions Moundarren (Shiki, Bashô, Ryôkan, Santoka, Hôsai, etc.)
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les 4 Buson des éditions La Délirante
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Les 5 « saijiki » d’Alain Kervern (éd. Folle Avoine) ainsi que son
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Matin de neige (A. Kervern, éd Folle Avoine)
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Le réveil de la loutre (Le printemps)
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La tisserande et le bouvier (L'été)
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à l'ouest blanchit la lune (L'automne)
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Le vent du nord (L'hiver)
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Tanka, Haiku, Renga de Maurice Coyaud, éd. Les Belles Lettres
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Haïku de Roger Munier, éd. Fayard
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HAIKU (en 4 vol.) de R.H. Blyth (en anglais), éd. The Hokuseido Press
… et mes traductions (!) de :
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Le Poème sans mots d’Éric Amann, éd. Gammes, 2006
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Aware de Betty Drevniok, éd Unicité, 2012
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Le Haiku moderne en anglais de George Swede (augmenté de haïkus tirés de deux de ses recueils), à paraître aux éd. Unicité
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L’Échelle brisée de Salim Bellen, éd. AFH, 2007
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Tierra de nadie de Salim Bellen, parution fév. 2013, éd. Unicité
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Le singe renifle en décembre, co-édition Unicité-Afah, à paraître en avril 2013.
Internet
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Une page consacrée à Daniel Py sur le site des éditions de la Lune Bleue
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La page Wikipedia consacrée au haïku
Contribution de Roselyne Fritel
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