Né en 1940, de formation universitaire, Armando Freitas Filho a été fonctionnaire à l’institut national du livre. Il fait partie d’un groupe de poètes connu sous le nom de Groupe des professeurs.
Notamment, dans son recueil Longa Vida publié en 1982, sa poésie se nourrit des interrogations qui naissent de la complexité des mécanismes intérieurs de la nature humaine, mêlée de temps à autre, à une caresse d’érotisme.
Tout voyage est intérieur
encore
qu'au
dehors
on vête voiture ou train
on apprenne à nager
avec
le navire
et à voler
en éclats avec les bombes
et les
avions ;
tout voyage
se fait au-dedans
comme les saisons
se
fabriquent, invisibles
à partir du vent
silencieuses
comme
lorsqu'une pensée
change d'allure ou de temps
distraite de
soi, et entre
en un autre climat
la tête tout étourdie
:
pfuitt, missile, au-delà du son
et de toute carte
ou
guide que je consulte
myope, sur la route
qui passe
sous mon
pied pneumatique
sous le leste ciel bleu
de mon chapeau ;
tout voyage
avance et se nourrit
d'horizons
seulement
futurs, vides, infinis
et de nuages
tout voyage
est antérieur.
Anthologie nouvelle poésie brésilienne, ©l’Harmattan, 1988, p.104
Traductions Mortara, de Sousa, Aguiar, Bourjea.
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Valium, sauve-moi,
à
quarante ans
je ne sais si je suis je
ou si je suis ou.
A
quarante ans
la vie commence
à devenir plus courte : me
guette
un avenir de lunettes
de dentiers impromptus
et
d'escaliers qui
soudain
comptent davantage de marches.
A
quarante ans
à Ouro Preto
au carnaval d'été
foire
lunatique
de moi
baroque, urgent, livré
sur les dallages
je
dévale les ruelles
sans perdre de temps
justement ici
où
il se perd
comme le lierre entre les pierres
fixé sur les
façades,
j'entre
à jamais dans
la Maison des Ante
sans
meuble
ou chaise
pour poser le fardeau
ancien de mon
corps
et déjà je commence
à passer
à
errer
dans des couloirs rhumatismaux
des salles
apoplectiques
des chambres sanglotantes
mais je ne renonce ni à
moi
ni à rien ;
ni à mon cœur
qui insiste et secoue
tous
les rideaux
en flammes
de ma poitrine, appelant au
secours
demandant le passage ;
je continue la visite :
pas,
calcul, et la canne
de mon toucher
ouvre — tout grand —
pour le départ
la porte du fond
la fenêtre désespérée qui
bat
sur la cour du vent
où des feuilles mortes de
journal
tourbillonnent
sur un terrain vague
sans nouvelle.
ibid p. 106
Traduc ibid
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De nouveau
à
cette table
et l'on ne dirait pas
que les nuages sont
autres
que le temps a couru
comme sang dans les veines
ou
comme train
roulant sur un pont
vers la collision
vers la
rouille.
Et l'on ne dirait pas
que la maison a résisté
aux
dégâts et aux rats
à la poussière immobile sur les meubles
à
l'abandon des chambres et des salles
fermées dans les nombreux
après-midi
des dimanches successifs
où, en pensée,
je
montais l'escalier
et la visitais
par cœur, de loin
en
silence
et par le souvenir
revoyais
la vie fermée à double
tour
interrompue au milieu
ici dedans :
le lit et le
journal
ouverts,
un verre d'eau à demi plein
comme si
j'allais
à l'instant même
revenir et répondre
au
téléphone
qui sonnait en vain
dans le noir
comme si je
devais
remonter l'horloge
reprendre le fil de la lecture
et
du sommeil
manger le reste du pain
de chaque jour.
Et
pourtant
maison et corps ont gardé
la même façon
d'ouvrir
portes et fenêtres
le même grincement
seulement
au-dehors
le jardin et les plantes
ont
poussé
le paysage est différent.
Ibid. p.110
Traduc. Ibid.
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Un
livre est un éventail
ouvert à tous les vents
à tous les
genres
de jeu
éventail
des cartes du destin
tissé de
chances
au hasard
de ses ailes et feuillets
à vol d'oiseau
il ose voler
à travers tout espace
imaginaire :
papier,
passeport, papillon
de mots
qui s'enfuit de la page
et libre
dans l'air
vagabondant
sur nulle ligne
sur nulle
réglure
s'ouvre
plein de sens
se prête à tout voyage
sans
carte, boussole
école
et plane sans plans
fait de plume
de
peine;
un coup de doigts
jamais n'abolira
la vie
toujours
au bord
d'une lettre, d'une larme
de Mallarmé ;
un livre
est un éventail
une rose des vents
offrant plusieurs
lectures
tournées vers leur oubli
ou l'aube de demain.
Ibid. p. 114
Traduc. Ibid.
Contribution de Jean Gédéon
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