En poésie
Il
y avait des journées d'hiver qu'on charriait sur le dos comme des
bêtes mortes.
Puis rien : encore le silence, ses marronniers
d'or, ses griffes d'argent sur le cœur.
Puis rien : la joie,
ou la douleur d'écrire.
La sécheresse sur laquelle souffle un
vent qui lisse des plumes imaginaires.
In
La
Servante ©
Éditions Saint-Germain-des-Prés 1980, p.146
Claude de Burine naît en septembre 1931, dans le château familial des Burine de Tournays , à Saint Léger des Vignes, dans la Nièvre, grandit et fait ses études dans la région, avant d'épouser, sur un coup de tête, un architecte et de le suivre au Maroc, en 1949.
Quand elle en revient en 1956, elle divorce, s'installe à Paris et fréquente les milieux d'artistes. Plus tard, elle rencontre et épouse le peintre Henri Espinouze, devenu veuf de Youki Desnos.
À la mort de ce dernier, en 1982, elle devient la compagne de son ami, Roland Masserot, qui meurt en septembre 1985. Elle décède d'une ambolie pulmonaire en juillet 2005.
Reconnue de son vivant pour l'originalité de son ton comme une grande dame de la poésie, elle aura publié dans de nombreuses revues dont les Hommes sans épaules, édité onze recueils de poésie, dont deux illustrés par des amis artistes, plus un livre en prose et un essai, aura fréquenté nombre de poètes connus, dont Jean Rousselot, Eugène Guillevic, Alain Bosquet, Robert Sabatier, remporté plusieurs prix, dont le Prix Louise-Labé en 1996 pour L'Arbre aux oiseaux, le Prix Max Jacob en 1977 pour Le Passeur, tous deux édités aux Éditions Saint-Germain-des-Prés, et le Prix Georges Perros pour Le Pilleur d'étoiles, paru chez Gallimard, en 1997. Paul Farellier a présenté ce recueil dans la Revue des Belles Lettres (n°1, 1998).
La poésie occupe, dès l'enfance, une place privilégiée dans sa vie :
La poésie c'est un état. Une sorte de vagabondage. J'avais trois ans, quand un soir, je suis sortie seule. Pour essayer de ramener le clair de lune dans le seau à champagne de mes parents. La poésie, c'est ça.
L'environnement naturel, auquel petite fille imaginative elle est très attachée, imprègne ses poèmes. Elle y marie humour, audace et sensualité. La mort est partout présente et cohabite avec l'amour.
Écriture
L'ombre
de la main
Sur la page
Et c'est :
L'allée des
platanes
Au fond
Quelqu'un que l'on chasse :
Le
souvenir,
Un mot
Qui longe la haie
Voulait voler
La fleur
des bois
Devenir ce lac
L'étang des nuits
Où parfois
Se
baignait
L'enfance.
In La Servante © Éditions Saint-Germain-des-Prés 1980, p.95
****
La petite mort
Temps
lourd et sombre et gris
Comme la maison des vacances qui se
referme.
On sent déjà l'hiver
Vieille chienne qui
mange.
Viens
Je t’emmènerai à Paris
Faiseur d'ours
blancs et d'étoiles.
In
Le
Pilleur d'étoiles ©
Gallimard 1997, p.28
****
Le Seigneur
Tu
es celle
Que l'on prend
Dans les ornières
Avec les yeux
De
l'étang noir.
Moi
Je viens des usages.
L'odeur du
cuir
La boucle
Ma main
Comme un éclair
Qui l'ouvre
Te
coucheront
Pour que tu saches.
Le cuivre
écartera tes
jambes
Chaud encore
De ma vie :
Il sera ce cœur
De
soleil qui rit.
En lui
Le parfum
De toi
Qui fus
femme
À cinq heures
Lorsque l'hiver
Faisait les vitres
De
l'école
Que la route à prendre
Avait peur
Tu devais
dire
Flammes et fourrures
Pour être un jour
Cette
bouche
Sur les épaules nues
Du printemps,
L'aveu du
chêne
Un soir de gloire
À toi
Née des îles
D'un
reflet de sureau
Sur le front de l'été
Toi
Parfum
d'encre
Et de papillons morts
Que donnent
Les meubles
Quand
ils parlent
Et que je suis
La goutte de nacre
Qui tremble
À
tes lèvres
Dans les bois
Qui portent mon nom.
In
La
Servante ©
Éditions Saint-Germain-des-prés 1980, p.113 à 115
****
L'Ancien
J'habite
des loques. J'ai un vêtement de ruines, mais j'entends encore la
musique des dîners, je touche encore la soie d'argent des
couverts.
(...)
Le tabac avait ce matin cette odeur de valse
viennoise qu'on n'offre qu'aux vivants.
(extrait),
in le
Pilleur d'étoiles -
© Gallimard
1997, p.95
****
On meurt
On
meurt de son enfance,
De ses boiseries,
De ses arbres aux
muscles forts,
De sa terre qui bouge
Sous les pas des
saisons,
Plus sûrement encore
Que de l'amour.
Mais on
meurt d'un amour
Qui vient à la nuit tombée
Quand le soir a
brodé son manteau
D'étoiles messagères
Que ses mains sont
vêtues
Du cuir doux des rencontres
Que ses paroles ouvrent la
salle
Où paraissent dormir
Ceux qui nous attendent.
In Cette auberge du pauvre, © Multiples, 2004, collection Fondamenta
****
Tout ce qui fait
Tout
ce qui fait qu'on vit
Tout ce qui fait qu'on meurt
Et ce rien
d'obscur
Dans les nuits sans lumière :
Le langage :
ses roses noires,
La parole blanche d'un corps nu
Qui se couche
dans l'herbe,
Ne nous autorisent à dire :
« J'aime
Je
veux l'ombre des cils
Sur ton visage
Et ton cri dans la
chambre
Qu'éclaire la neige. »
Car l'hiver est bien
là
Et venu tôt, avec le givre,
Sur ses terres sans mémoire
Et
le mot sera seul
Comme une cerise oubliée
Dans l'hiver des
granges
Et je n'ai rien à dire
Si tu t'absentes
Si tu
vas fleurir ailleurs,
Si tu vas t'ouvrir
Sous la bouche sans
histoires
Des sources :
Il est tard ici.
In
Le
Pilleur d'étoiles © Gallimard
1997, p.44/45
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Quand j'aurai…
Quand
j'aurai la vie
Le poing bleu
De la vie
Et la langue
verte
Des artichauts
On
dira langage
Beau langage
Souple langage
Des mots
On ne
pèsera pas
À prix d'or
La lampe en fer forgé
Du soir
Ne
touchez pas
Aux demoiselles
Elles sont le chant
Du géant
qui passe
La chair violente
De ses reins
Mais aussi
La
soie de ses paumes
Son cœur :
Cette salle de campagne
Où
l'on marche
Pieds nus.
In
La
Servante © Éditions
Saint-Germain-des Prés 1980, p.151
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Peut-être
Peut-être
En
s'avançant
Ainsi
Sous le feuillage
Des mots
Dans leurs
chuchotements
De colombe,
De sang,
Pourrons-nous
Atteindre
les morts
Prendre
Leurs bras
De fougère,
Leur
dire :
« Le jour est en bas
Il attend
Près de
l'escalier
Aux pommes
Que vous daigniez
Venir ».
La
tonnelle
Est sous l'averse.
Il y a
Cette allée
Près du
château
Que vous savez
Où reste juste
Ce frémissement
d'air
Ce goût de buis
De pensée sauvage
Qui est bien
Le
temps
De votre âme.
Un prénom
S'ouvre
Pour la Fête.
Ibid p.105 et 106
De quelle Fête, avec un grand F, parle-t-elle ? Les poèmes sont éternels, à chaque lecteur d'en déchiffrer le mystère. Au poète, reviennent toujours les mots de la fin.
Vient le soir…
Vient
le soir
Ses verreries
Sous les galeries
Où le vent tient
boutique
Debout
Dans le secteur privé
De la
fatigue
Allons
Il faudra donc
Partir seul
Dans ses
bottes
De sel et de terre
Aujourd'hui la mort
Est cette
jeune pluie brune
Qui parle à ses chiens.
Ibid p.74
Bibliographie consultée
-
La Servante © Éditions Saint-Germain-des-Prés 1980
-
Le Pilleur d'étoiles © Gallimard 1997
Internet
-
Un article sur le site lectio-adfinitas
-
Sur poesie maintenant de Pierre Maubé
-
Un article sur le site de la Médiathèque de Nevers
-
Un article sur le site Les hommes sans épaules
Contribution de Roselyne Fritel
Merci pour cette belle introduction à cette parole légère, rapide et dense pourtant.
AxoDom
Rédigé par : AxoDom Guillerm | 04 janvier 2021 à 16:10