Le surréalisme est né des suites de la grande guerre de 1914/1918, qui ont remis en cause, entre autres bouleversements, les fondements mêmes d’une organisation sociale devenue obsolète, et plus précisément, en matière artistique, notamment, de la poésie et de la peinture.
Le regard porté sur ces disciplines va se trouver peu à peu modifié en profondeur grâce, entre autres, à l’émergence, à Zurich en 1916 du mouvement Dada de Tristan Tzara, dont l’influence en Europe, à cette époque, ne cesse de grandir.
La poésie française avait déjà subi, avant 1914, un petit coup de jeunesse, avec les symbolistes, et elle va se renouveler en profondeur grâce à Tzara arrivé à Paris en 1920, et dont les idées nihilistes vont servir de détonateur à une équipe de jeunes poètes talentueux appelés Breton, Aragon, Soupault, Eluard. Ces jeunes révoltés très soucieux de changer le monde et l’homme de fond en comble, créent en 1919 pour servir de support à leurs idées, la revue Littérature puis plus tard, en 1924, La révolution surréaliste qui prônent le rejet du bourrage de crânes, des valeurs bien-pensantes et cléricales, celles qui sont véhiculées par les pouvoirs en place et dont le ressort d’arrière-plan est la mise en condition des masses et le maintien de la paix sociale.
Ils souhaitent par ailleurs innover radicalement en poésie grâce, en dehors de toute recherche littéraire, à une libération du langage qu’ils considèrent comme refoulé, cette libération permettant de favoriser l’épanouissement du locuteur, et par conséquent son émancipation totale. Pour y parvenir, ils vont utiliser un certain nombre d’expériences sur le sommeil et l’inconscient ou d’exercices tels que l’écriture automatique, à travers, notamment, les récits oniriques, et la mise en commun de l’inspiration par des jeux collectifs comme par exemple, le cadavre exquis qui consiste, pour le groupe, à inscrire sur un papier une phrase comportant un nom, un adjectif, un verbe et un complément, chacun des composants de la phrase étant écrit à l’insu de son voisin.
L’écriture automatique à été formalisé en 1919 par Breton et Soupault, qui, en l’espace d’une quinzaine de jours ont écrit, au fil de la plume, un livre intitulé Les champs magnétiques, dont, ont-ils dit, « chaque chapitre n’avait d’autre raison de finir que la fin du jour où il était entrepris ».
En voici quelques extraits :
La glace sans tain
Prisonniers des gouttes d'eau, nous ne sommes que des animaux perpétuels. Nous courons dans les villes sans bruits et les affiches enchantées ne nous touchent plus. A quoi bon ces grands enthousiasmes fragiles, ces sauts de joie desséchés? Nous ne savons plus rien que les astres morts; nous regardons les visages; et nous soupirons de plaisir. Notre bouche est plus sèche que les plages perdues; nos yeux tournent sans but, sans espoir. Il n'y a plus que ces cafés où nous nous réunissons pour boire ces boissons fraîches, ces alcools délayés et les tables sont plus poisseuses que ces trottoirs où sont tombées nos ombres mortes de la veille.
Quelquefois, le vent nous entoure de ses grandes mains froides et nous attache aux arbres découpés par le soleil. Tous, nous rions, nous chantons, mais personne ne sent plus son cœur battre. La fièvre nous abandonne.
Les gares merveilleuses ne nous abritent plus jamais : les longs couloirs nous effraient. Il faut donc étouffer encore pour vivre ces minutes plates, ces siècles en lambeaux. Nous aimions autrefois les soleils de fin d’année, les plaines étroites où nos regards coulaient comme ces fleuves impétueux de notre enfance. Il n’y a plus que des reflets dans ces bois repeuplés d’animaux absurdes, de plantes connues. (…)
In Les champs magnétiques © Poésie/Gallimard 1971 p.27
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On applaudit
Chaleur
des locomotives endimanchées
Cache-poussière
des prostituées
Problème
marin lune
Méridiens
solides ruche
Calomel
des enfances au théâtre
Les
campagnes bleues
II
y a trois habitants
Poissons
volants amoureux des étoiles
Barbe
des fleuves langueur
Occident
Mille
ans boussole
Les
pharmaciens psychologues sont un danger public
Rage
des manufactures de Chicago
Sacre
Les
hommes aiment la pâleur des animaux
Ibid p.104
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éclipses
La couleur des saluts fabuleux obscurcit jusqu'au moindre râle : calme des soupirs relatifs. Le cirque des bonds malgré l'odeur de lait et de sang caillé est plein de secondes mélancoliques. Il y a cependant un peu plus loin un trou sans profondeur connue qui attire tous nos regards, c'est un orgue de joies répétées. Simplicités des lunes anciennes, vous êtes de savants mystères pour nos yeux injectés de lieux communs.
A cette ville du nord-est appartient sans doute le privilège délicieux de cueillir sur ces montagnes de sable et de fossiles ces affres serpentines. On ne sait jamais ce que les filles de ces pays sans or nous apportent de liqueur condensée.
Le promontoire de nos péchés originels est baigné des acides légèrement colorés de nos scrupules vaniteux; la chimie organique a fait de si grands progrès. Dans cette vallée métallique, les fumées, pour un sabbat cinématographique, se sont donné rendez-vous. On entend les cris d'effroi des goélands égarés, traduction spontanée et morbide du langage des colonies outragées. La seiche vagabonde jette un liquide huileux et la mer change de couleur. Sur ces plages de galets tachés de sang, on peut entendre les tendres murmures des astres. (…)
Ibid p.41
Le but sous-jacent de ces pratiques était de libérer ce qui, dans l’inconscient de chacun se tient enfermé et peut se traduire, une fois mis à jour, par de la poésie. On peut se rendre compte à la lecture des extraits qui précèdent que l’écriture automatique inventée par les surréalistes a fait, au fil du temps, de nombreux émules parmi nos poètes actuels, auteurs de textes en vers libres ou en prose poétique.
Parallèlement à ces travaux sur l’écriture, les surréalistes se sont intéressé à la recherche psychiatrique , cherchant à découvrir où se situe la fragile frontière entre la démence et la normalité, objet de l’ouvrage collectif de poèmes en prose intitulé L’immaculée conception publié en 1930 par Breton et Eluard.
Ils ont été également passionnés par la psychanalyse et les travaux de Freud.
Au cours de cette même année 1930, à la revue La révolution surréaliste, va succéder Le surréalisme au service de la révolution, qui marquera l’évolution du groupe vers une position politique plus affirmée, et par un rapprochement avec le parti communiste auquel adhéreront, parfois provisoirement, certains membres du mouvement tels que Breton, Eluard, Aragon, Péret.
D’autres, comme Artaud et Soupault, refusant d’adhérer seront exclus. En fait, politiquement, comme pour l’ensemble de leur démarche, le mouvement, agité au fil des années de multiples soubresauts idéologiques, va s’efforcer, grâce à l’autorité de Breton de concilier les inconciliables « ce point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement ». Le mouvement, tout en refusant constamment de se laisser inféoder participera néanmoins aux grands combats pour la liberté et contre les guerres.
Au noyau dur réuni autour de la première équipe de La révolution surréaliste vont peu à peu venir s’agréger de nouveaux adeptes qui seront admis dans le groupe sans formalités excessives. On leur demandera simplement d’avoir un esprit d’équipe, d’être de bonne compagnie, d’adhérer globalement aux idées surréalistes, et de se réunir quotidiennement dans un des cafés parisiens, pour débattre ou se tenir au courant des dernières nouvelles littéraires ou politiques. Ceux d’entre eux qui feront sécession, seront exclus, avec chaque fois l’arbitrage final d’André Breton, qui va dès l’origine, s’imposer comme le chef de file du mouvement. (Nous ferons, à la suite de cet article, et dans les prochaines semaines, un portrait complet de ce personnage haut en couleur.)
Au cours des années de la seconde guerre mondiale, les surréalistes vont mettre leurs activités en veilleuse certains d’entre eux s’étant mis à l’abri à l’étranger, dont Benjamin Péret réfugié au Mexique, ou André Breton, replié aux États-Unis, qui organise en 1942 dans ce pays, avec Marcel Duchamp, une exposition internationale et fonde la même année la revue VVV qui continue de prôner les idées du surréalisme.
Au cours des années d’après-guerre, les surréalistes regroupent leurs forces et accueillent de nouveaux éléments tels que Julien Gracq, André Pieyre de Mandiargues, Jean-Pierre Duprey, Malcom de Chazal, Joyce Mansour, Pierre Bonnefoy. Ils attirent l’attention du public avec des expositions thématiques, et s’intéressent à l’ésotérisme et aux sciences occultes, avec, notamment, la publication en 1957 par Breton et Legrand d’une vaste enquête sur l’art magique.
Par ailleurs, fidèle à leur complète liberté d’esprit, et tout en prenant leurs distances avec les rigidités du marxisme, ils continuent de participer activement aux mouvements de révolte politique, notamment en 1956, contre l’intervention soviétique à Budapest, ou au soutien à la déclaration des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.
En 1966, la mort d’André Breton signera le début d’une mort lente du mouvement, en raison de l’absence d’un leader capable de fédérer les enthousiasmes et de calmer les antagonismes. Le mouvement sera dissous en 1969, mais ce ne sera pas pourtant une mort complète puisque le surréalisme a peu à peu essaimé hors de France dans des pays où il a fait école tels qu’en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Suisse, en Angleterre, au Japon.
Le surréalisme, parallèlement à la poésie, s’est également incarné dans la peinture, avec des artistes tels que Max Ernst, Magritte, Picabia, Picasso, Dali, Miro.
Il est donc l’exemple, unique dans l’histoire littéraire, d’un mouvement qui a su rassembler, autour des textes théoriques de son chef de file, et sur près d’un demi-siècle, autant de talents divers, animés d’une même liberté d’esprit et soucieux de clamer haut et fort leur profond dégoût de l’arbitraire et des magouilles politiciennes.
La Pierre et le Sel a précédemment présenté plusieurs poètes surréalistes, dont :
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Le 02/01/2012, ARAGON, l’amour sublimé
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Le 22/02/2012, SOUPAULT, un révolté désinvolte
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Le 28/03/2012, ARTAUD le momo
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Le 03/04/2012, REVERDY, un poète mystique, à l’aube du surréalisme
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Le 12/04/2012, TZARA dada
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Le 18/05/2012, PAZ, la poésie comme insurrection
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Le 17/12/2012, LEIRIS, poète ethnologue par accident
Bibliographie
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Les surréalistes, Philippe Audoin, © Le Seuil / Écrivains de toujours, 1973
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Le monde du surréalisme, Gérard de Cortanze © Ed. Henri Veyrier, 1991
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La poésie surréaliste, J.L. Bedouin, © Ed. Seghers, 1970
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Les champs magnétiques, Breton, Soupault, © Poésie/Gallimard, 1971
Internet
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Un article Wikipedia
Contribution de Jean Gédéon
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