Le recueil, dont sont tirés les poèmes qui vont suivre, est paru, pour la première fois, en version bilingue, espagnole et française, à l'occasion du Festival de Poésie de Sète en juillet 2013. Certains d'entre eux, comme La Maison et Strates ont été lus sur place, par l'auteur, qui maîtrise parfaitement le français.
Cartographie ardente
L'automne
pourrait-il
être broussailles,
un fil qui serpente
entre
les roches,
canevas indécis
dans le filet de ton
regard ?
Pourrait-il, pulsion aiguë,
sentir tes
bords
te déployer
comme une carte nouvelle
– cartographie
ardente –,
compromettre mes chemins
rebrousser le
tien ?
S'il y avait de l'automne
ce serait ainsi.
In Animaux sacrés et autres poèmes Voies vives de Méditerranée en Méditerranée et Al Manar (2013), traductions d'Annie Salager, p.53
Une
douleur intense anime chacun des poèmes suivants, en opposition
totale avec le sourire et les cheveux grisonnants de leur auteur.
L'humour en est heureusement l'allié précieux, très noir à ses
heures.
Nous avons souhaité pourtant les porter à la
connaissance d'un plus large public, suite à cette première
publication en français. Nous nous promettons d'en faire autant pour
plusieurs des auteurs étrangers approchés sur place, à Sète.
L'enfant vaurien
L'enfant
vaurien est un enfant quelconque,
tout de reflets,
un enfant à
l'envers,
détourné.
Qui a dit que les enfants ne doivent pas
être ainsi ?
Il est versé en lois
pour les violer,
versé
en famille
pour l'exploiter,
sait peu de choses que nous ne
sachions,
mais sa jeunesse rend idiot.
Ils s'approchent de son
berceau :
« be, be »,
« quelle est bonne
la bouillie »,
« ma mman ».
L'enfant vaurien
observe
et apprend vite
que les adultes sont déments.
Il
y eut une fois une fillette aussi,
mais celle-ci fut étouffée
sous les oreillers.
Ibid p.21
Le
poète, d'un ton poignant, quand il n'est pas glaçant, dissèque à
l'acide des plaies d'enfance, restées béantes. L'océan, mis entre
elle et le passé, n'aurait pas suffi à l'apaiser.
La Maison
Comment
dissoudre une maison, la structure
de cannelle simple, solide dans
la mémoire,
les traversins aux lettres imprimées
et les
fenêtres, qui encadrent un unique paysage,
livide, de
l'enfance.
Comment faire éclater la cendre et l'absorber
par
un trou noir, ou mieux lumineux, très clair
qui brillerait
jusqu'à la fin et s'éteindrait.
Comment ni entrer ni sortir,
qu'il n'y ait ni porche
ni escalier, ni une salle, ni une mère
au
fond d'un fauteuil, et un frère toujours aux toilettes
qui
découvre son adolescence.
Comment, une fois la maison tranquille,
effacer
l'absence du père
installée avec une rage de
poussière dans le vide.
Ibid p.19
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Strates
Ce
n'est pas que tu écrives toujours la même chose,
tu écris au
même lieu une autre couche,
plus profonde, de ce lieu.
De même
que les toiles métalliques
de certaines installations laissent
voir une autre réalité
– remembrance, ai-je mis sur le
catalogue –
qui travaille par strates comme la mémoire,
et
entrevoit ce qu'il y a dessous,
le plus cruel.
Ibid p.25
Écrire parfois aide à trouver la juste distance, qui autorise à vivre.
Vivre
Il
n'y a pas d'équilibre. N'y en a pas
sur la table à laquelle elle
s'appuie
et titube.
Tout est fragile, et peut-être,
portable.
On se porte, d'ici à là-bas.
Et se traîne de
nouveau, de là vers ici.
Et ça, sans équilibre, sur le point de
chuter.
Ce qu'on voit, ça échappe quand on se relève.
Vertical,
le rêve glisse
comme une tunique de soie jusqu'aux pieds.
Et
quelque chose qui est en bas, invisible,
l'absorbe.
Alors, elle
se met à vivre.
Ibid p.37
Reste le désir, dont elle écrit
Le désir
Et
un cheval même si on ne le monte pas,
un rôti même si on ne le
mange pas,
un canoë même sans rivière,
des amis qui
viendraient
même s'il n'y a pas d'amis
ni un miroir pour un
amant
aux cheveux bouclés et beaux.
Veut un automne
comme
s'il y avait de l'automne
et que cela fût la vie.
Ibid p.51
Lugar vertical , qui signifie Lieu vertical est le dernier livre de Noni Benegas, paru en espagnol en 2012, on espère y voir se redresser, d'une plume apaisée et sur « une carte nouvelle », table, horizon, désir et saisons.
Contribution de Roselyne Fritel
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