Joyce Patricia Adès, plus connue sous son nom de plume Joyce Mansour, est née à Bowden, en Angleterre le 25 juillet 1928, et morte d’un cancer à Paris le 27 août 1986.
Ses parents faisaient partie de cette colonie britannique installée au Caire depuis plusieurs générations qui a su mêler la tradition anglaise avec les saveurs épicées de l’Orient.
Après des études en Angleterre et en Suisse, Joyce retourne en Égypte où elle se fait connaître comme sportive de haut niveau.
Son premier mariage en 1947 ne dure que six mois, après la mort de son époux victime d’une maladie incurable.
Elle se remarie en 1949 avec Samir Mansour, issu de la colonie française du Caire.
Le couple s’établit à Paris en 1954, où vont naître leurs deux fils, et très vite Joyce Mansour fait la connaissance de Breton et se plonge dans les activités du groupe surréaliste, bien décimé dans ses dernières années par les exclusions édictées par André Breton.
D’une étrange beauté exotique, elle en joue et fait preuve, dans sa vie et son œuvre d’une liberté de ton incandescente et furieuse, célébrant les splendeurs de la chair sans en gommer les sueurs, le sang, le sperme et les miasmes qui l’accompagnent. Féministe en avance sur son temps, elle aura marqué de son audace les derniers soubresauts du surréalisme.
Elle a aussi un côté gothique par sa prédilection pour le côté sombre de la vie inéluctablement marqué par la décrépitude, la pourriture et la lente dérive des corps vers la mort.
Laisse-moi t’aimer. J’aime le goût de ton sang épais. Je le garde longtemps dans ma bouche sans dents. Son ardeur me brûle la gorge. J’aime ta sueur. J’aime caresser tes aisselles ruisselantes de joie. Laisse-moi t’aimer. Laisse-moi sécher tes yeux fermés. Laisse-moi les percer avec ma langue pointue. Et remplir leur creux de ma salive triomphante. Laisse-moi t’aveugler.
In Cris
Pour Alain Jouffroy, son absence de pudeur « marque une sorte de révolte, essentiellement féminine, contre le despotisme sexuel de l'homme, qui fait souvent de l'érotisme sa création exclusive »
En 1953, les éditions Seghers ont publié son premier recueil de poèmes Cris remarqué par la revue surréaliste "Médium" et dont voici des extraits :
Ne mangez pas...
Ne
mangez pas les enfants des autres
Car leur chair pourrirait dans
vos bouches bien garnies
Ne mangez pas les fleurs rouges de
l'été
Car leur sève est le sang des enfants crucifiés
Ne
mangez pas le pain noir des pauvres
Car il est fécondé par leurs
larmes acides
Et prendrait racine dans vos corps allongés
Ne
mangez pas afin que vos corps se flétrissent et meurent
Créant
sur la terre en deuil
L'automne
In La poésie surréaliste, Cris © Seghers 1970 p 220
****
Les machinations aveugles…
Les
machinations aveugles de tes mains
Sur mes seins frissonnants
Les
mouvements lents de ta langue paralysée
Dans mes oreilles
pathétiques
Toute ma beauté noyée dans tes yeux sans
prunelles
La mort dans ton ventre qui mange ma cervelle
Tout
ceci fait de moi une étrange demoiselle
Ibid p 220
****
L’amazone...
L'amazone
mangeait son dernier sein
La nuit avant la bataille finale
Son
cheval chauve respirait le frais de la mer
En piaffant en rageant
en hennissant sa peur
Car les dieux descendaient des monts de la
science
Apportant avec eux les hommes
Et les tanks
Ibid p.221
****
Fièvre...
Fièvre
ton sexe est un crabe
Fièvre les chats se nourrissent à tes
mamelles vertes
Fièvre la hâte de tes mouvements de
reins
L'avidité de tes muqueuses cannibales
L'étreinte de tes
tubes qui tressaillent et qui clament
Déchirent mes doigts de
cuir
Arrachent mes pistons
Fièvre éponge morte gonflée de
mollesse
Ma bouche court le long de ta ligne d'horizon
Voyageuse
sans peur sur une mer de frénésie
Ibid p221
Puis en 1955, les éditions de Minuit publient son second recueil intitulé Déchirures :
Invitez-moi...
Invitez-moi
à passer la nuit dans votre bouche
Racontez-moi la jeunesse des
rivières
Pressez ma langue contre votre œil de verre
Donnez-moi
votre jambe comme nourrice
Et puis dormons frère de mon frère
Car nos baisers meurent plus vite que la nuit
In La poésie surréaliste, Déchirures © Seghers 1970 p 220
****
J’ai planté une main…
J’ai
planté une main d’enfant
Pâle de maladie grouillante de
vermine
Dans mon jardin aux arbres fleuris
Je l'ai bien enfouie
dans le sol fétide
Je l'ai arrosée ratissée nommée
Sachant
qu'une vierge poussera en ce lieu
Une vierge brillante de lumière
et de vie
Une foi nouvelle dans des lieux anciens
Ibid p 222
****
Le téléphone sonne…
Le
téléphone sonne
Et ton sexe répond
Sa voix rauque de
chanteur
Fait frémir mes ennuis
Et l’œuf dur qu'est mon
cœur
Frit
Ibid p 222
****
La nuit je suis le vagabond…
La
nuit je suis le vagabond dans le pays du cerveau
Étiré sur la
lune de béton
Mon âme respire domptée par le vent
Et par la
grande musique des demi-fous
Qui mâchent des pailles de métal
lunaire
Et qui volent et qui volent et qui tombent sur ma tête
A
corps perdu
Je danse la danse de la vacuité
Je danse sur la
neige blanche de mégalomanie
Tandis que toi derrière ta fenêtre
sucrée de rage
Tu souilles ton lit de rêves en m’attendant
Ibid p 222
Dans ces recueils la poésie de Joyce Mansour est en constant va et vient entre les furieuses respirations orgiaques du désir charnel, un arrière-plan d’angoisse existentielle, et de douleur liée à la perte d’êtres chers.
À une époque où la poésie et l’érotisme étaient essentiellement masculins, il n’est pas étonnant que cette œuvre, riche de nombreux poèmes mais aussi de pièces de théâtre et de récits ait du attendre les années 1990 pour que des thèses lui soient consacrées et qu’elle soit accessible au public, grâce aux éditions Actes Sud qui l’ont publiée en 1991 sous le titre Prose et Poésie, œuvres complètes.
Bibliographie partielle
-
« Cris », Éd. Seghers, Paris, 1953
-
« Déchirures », Éd. de Minuit, Paris, 1955
-
« Rapaces », Éd. Seghers, Paris, 1960
-
« Carré blanc », Le Soleil Noir, Paris, 1966
-
« Les Damnations », Éd. Visat, Paris, 1967
-
« Phallus et momies », Éd. Daily Bul, 1969
Internet
-
Sur Esprits nomades un grand article sur J. Mansour
-
Un article sur Histoires Nocives, prose de J. Mansour
-
Un excellent article de Stéphanie Caron sur la poétesse.
-
Une vidéo d’André Velter, Poésie sur parole, France Culture.
Contribution de Jean Gédéon
Commentaires