Stéphane Chaumet, né en 1971, s'est fait connaître du public avec la parution au Seuil du roman Même pour ne pas vaincre en 2012 et des chroniques Au bonheur des voiles en 2013. Mais son intérêt pour la poésie remonte est bien antérieur et chacun peut découvrir son travail d'auteur et de traducteur dans le catalogue de L'Oreille du loup, la maison d'édition qu'il fonda en 2008 avec Myriam Montoya et dont cette dernière s'occupe toujours activement. Stéphane est par ailleurs un grand voyageur, de ceux qui ne font pas de tourisme, mais entrent dans le sein d'un pays jusqu'à s'y oublier, s'y perdre pour mieux s'y fondre.
Mais, c'est une vision noire du monde qu'il nous offre dans Les cimetières engloutis, recueil paru au printemps 2013 chez Al Manar sous la gouverne de Alain Gorius qui ne cesse de faire des choix de qualité.
Vision noire accompagnée de dessins de l'artiste Jimena González Restrepo. Entre dénonciation et ironie grinçante, Stéphane Chaumet décrit dès l'abord une terre dévorée :
tandis que la terre tourne à la broche sous les pipelines en feu (tour complet 24h cuisson lente) laissez rôtir laissez les graisses végétales animales s'égoutter laissez calciner boule noire et chantez les douces apocalypses digestives geignez les cantiques en deuil des écologies bien-pensantes et torchez-vous le bec avec
extrait p.11
Il s'attaque aux puissants :
Temps de famine dieu rat crevé que des chiens flairent
Plus loin :
Vous
avez crevé les yeux de l'avenir pour mieux gaver votre confort
le
foie gras de vos rêves pourrit au balcon.
Jusqu'à perdre l'espoir :
L'espoir
est cette tartine de pain rance
trempez-la dans votre tasse
d'huile du matin
attention ! - quel dommage vous avez encore
taché votre journée
trop tard pour se changer de vie,
mais
les rouages sont graissés
- ce qui s'oxyde c'est la respiration
la langue
sucez-vous les doigts avant d'aller uriner
les
muqueuses de la caméra du patron vous reniflent
vous lui caressez
les poils avant d'entrer dans le temple du service
la tiédeur du
travail emmitonne vos nerfs et rassure vos neurones
Mourir de
n'avoir qu'à moitié vécu ne vous fait ni chaud ni froid
p.16
Dénonciation de la misère des continents :
Vieille
Europe au cul défoncé tu racles tes fonds de tiroirs
brandissant
tes valeurs aux confins des frontières,
mais avec quoi t'essuies
tu au secret quand clignotent les besoins ?
****
Afrique
fausse vierge des féeries
tes pouvoirs taillent ton pal
vendent
tes entrailles au plus offrant
Mais peut-être au bout de ce sombre tableau reste-t-il une chance d'échapper à une fin inéluctable :
j'ai
bu le vide au goulot
tant ma soif était noire
et je
nage
pour échapper aux fourches
pour chercher les failles
pour
saper les racines de vieux réflexes mentaux
j'articule ma lenteur
défie ma blessure
efface au noir mes traces
et j'ai tant
nagé
qu'à la pointe de l'épuisement
là où se fend
l'insomnie
là où se tend le nerf caché
où le masque se
casse
où l'os brise le verre
où le sang récupère sa
source
je rencontre une femme
belle comme une forêt en feu
p.52
Bibliographie
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Les cimetières engloutis, © Al Manar Alain Gorius, 2013
Internet
-
Les éditions Al Manar
-
J'ai rêvé la nuit dernière que j'étais en Syrie, une chronique récente de Stéphane Chaumet sur le site du Huffington Post
Contribution de PPierre Kobel
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