Le 7 décembre dernier eut lieu, à Paris, dans le cadre d'échanges culturels, une rencontre franco-japonaise autour du haïku réunissant treize haijins, membres des cercles Seegan Mabesoon et France Kukaï, et sept haijins du groupe du kukaï de Paris, dirigé par Daniel Py.
Anonymes, traduits et lus au préalable dans les deux langues, 42 haïkus furent mis ensuite aux voix. Celui de Tami Kobayashi, poète japonais, vivant à Paris, obtint le meilleur score, avec sept voix. Le voici :
Essorer
Une liasse de vieux torchons
sous les étoiles glacées
L'essence du haïku repose dans le fait, qu'inscrit dans le temps ou la saison, il propose en général deux images, qu'unit un vaste temps suspendu, dont découle l'émotion.
À entendre cet haïku, me vint aussitôt en mémoire un poème d'Ossip Mandelstam, poète russe, du début du vingtième siècle, réduit au silence avant de mourir au goulag, sous Staline.
Je me suis lavé, de nuit, dans la cour,
Le ciel brillait d'étoiles grossières.
Leur lueur est comme du sel sur la hache,
Le tonneau, plein jusqu'au bord, refroidit.
Le verrou est tiré sur le portail
Et la terre, en conscience, est rude.
De trame plus pure que la vérité
De cette toile fraîche, on n'en retrouvera pas.
Dans le tonneau, l'étoile fond comme du sel
Et l'eau glacée se fait plus noire,
Plus pure la mort, plus salé le malheur,
Et la terre plus vraie et redoutable.
1921
In La Revue des Belles-Lettres, n° 1-4, 1981, Ossip Mandelstam, Soixante-Seize poèmes, traductions de Philippe Jaccottet, p.53
L'histoire de cette traduction mérite d'être contée. Philippe Jaccottet, poète suisse de langue romande, découvre ce poème. Subjugué, il se met au russe pour le lire dans le texte et le traduire.
En 1975, il évoque dans son livre, Une Transaction secrète, ses « rencontres » avec l'œuvre poétique de plusieurs poètes et, dépeignant l'émotion qui pour lui en découle, il dit de ce poème de Mandelstam :« J'ai éprouvé ce poème comme un bloc de nuit, dur, froid …un baptême brutal. »
Auparavant, en 1960, dans une période où l'inspiration lui faisait cruellement défaut, Philippe Jaccottet découvre le haïku, en anglais, grâce aux traductions de Reginald Horace Blyth. Ce dernier, marié à une japonaise, vivant au Japon et en possédant parfaitement la langue, contribue, par ses livres, à répandre le haïku hors du Japon.
Philippe Jaccottet est littéralement ébloui par cette découverte. Il confie à son journal : « J'avais, en les lisant, l'impression de guérir d'une maladie, qui m'eût sans doute conduit à la mort spirituelle (…) ces poèmes sont des ailes qui nous empêchent de nous effondrer. »
Autant de passerelles, tissées au cours des siècles, entre les langues, les écritures et par delà les frontières, ne peuvent que nous laisser confiants en l'avenir de la poésie.
Internet
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Dans Wikipedia un article sur Reginald Horace Blyth (en anglais)
Contribution de Roselyne Fritel
Merci pour ce beau rapprochement.
Rédigé par : Françoise Lonquety | 12 décembre 2013 à 09:22