Avec les mêmes mains
Avec les mêmes mains dont j’écris cette ligne
avec les mêmes mains que toi
avec les mêmes mains dont on salue et on étreint
dont on calme caresse écoute
avec les mêmes mains qui se répandent comme une eau
ou qui s’effritent miette à miette
non pas faites pour gants ou photos
ni manucure ou séchage à l’air chaud
mais pour se fermer avec rage devant les murs trop hauts des choses établies
devant le gros gibier de la machine économique
devant les vies glissant de tout leur poids à prix fixe vers elles
avec les mêmes mains palpant les pièces de soierie
d’un mot exact d’un monde juste ô rêveries
je mêle aux tiennes mes frontières.
In «La Femme-buisson » - Poésie contemporaine de langue française - © éditions France Loisirs, 1992, page 203
Annie Salager, lyonnaise d’adoption et d’origine occitane, est née à Paris en 1938.
Si ses premiers recueils expriment une certaine révolte contre l’injustice sociale, l’auteur presque charnellement imprégnée de l’omniprésence de la nature et de ses mystères, va exalter dans son œuvre cette fusion.
Végétal
Attention aux radicelles qui montent de ce sable…Car vous y marchez pieds nus elles vous attachent dès l’abord, tout en semblant à la pression des muscles, se dérober dans le cataclysme des grains. Mais la stérilité de ce terrain, quelle imprudence de la croire ! Trop de mouvements vains déjà inquiètent vos genoux, troublent les profondeurs du ventre. Vous voilà végétal tandis que vous continuez d’avancer appesanti de sève, assourdi de votre feuillage. Enraciné, déraciné à chaque pas, ce vacarme enfoui comme il éclate, comme il passionne vos yeux semblables alors aux pierres de nuage ! A contempler la mer, l’être parle trop haut : écoutez l’imperceptible voix du sable !
In « Les Fous de Bassan » - Poésie contemporaine de langue française - © éditions France Loisirs 1992, page 202
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Sans cesse demeure et surgit
Des paysages ont grandi au levain de la mémoire.
Collines chemins blancs pigeonniers que ronge l’acide du rêve éclairés par l’affairement des envols subreptifs
Les mains paysannes y ont taillé des pieux pénétrés d’hiver pour les clôtures que flaire une odeur de mort le long des herbages
Ailleurs, des oiseaux aux formes d’étoiles, comblés de la mesure d’infini dispensée aux terres marines
Où les jours plus longs que les nuits font trembler les pins au-dessus des tombes
Mais l’encre s’efface du reflet d’or que le regard n’a plus
Partout les rumeurs descendent en créant des goulets d’odeurs
Les soirs où l’air n’est pas défait du végétal et les faïences cassent dans le temps qui finit
L’œil écoute monter l’espace
Tandis que sur le sol maintenant minuscule le corps a pris la dimension des paysages où il s’abîme
In « Chants » - La Poésie contemporaine de langue française -© éditions France Loisirs 1992, page 204
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Lumière du rythme
L’espace la dérobe
l’être l’ombre
y tournoient
Perlée d’aubes lointaines
aux fables orangées
Elle qui laisse entendre
l’ascension du vivant
l’infinitif d’azur
dont on n’embrasse ni
la vacuité ni l’énergie
divine et seuls
des univers
des rythmes
les questionnent
In «Travaux de lumière » (extraits) –Internet © La rumeur libre éditions
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Les mêmes
J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier
le ciel est noir d’étoiles
la nuit le peuple
de lis en poussière de mer
j’ai soif d’eux
dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine
Ibid
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La visite
Qui frappe à la porte ?
Le sol s’est fissuré
où crie l’oiseau du vivre
sous le pas du devin
qui a tourné le dos
Il ne reconnaît plus
les rieuses dansaient
la parade du feu
aux joues et le plaisir
ni le bel aujourd’hui
les bouffées de bourgeons
ni la source d’amont
aux anciennes prairies
Qui frappe
et qu’attend-on de lui ?
Ibid
Robert Sabatier dans « La Poésie du XXème siècle », s’exprime ainsi sur la poésie d’Annie Salager :
Elle transcende, (les fluctuations de l’histoire contemporaine), par sa vision tellurique et cosmique, par son imaginaire qui la conduit à édifier des fresques baroques, où apparaît la puissance du règne végétal, car elle est à la fois corps et nature, souffle sensuel et rythme vital.
Bibliographie
Poésie
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La nuit introuvable,© éditions Henneuse, 1963, Prix René Blieck
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Présent de sable, © éditions Chambellan, 1964
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Histoire pour le jour © éditions Seghers, 1968
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La Femme buisson, © éditions SGDP, Prix Jean Cocteau
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Les Fous de Bassan, © éditions SGDP, 1976
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Récit des terres à la mer, © éditions Federop, 1978
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Figures du temps sur une eau courante, © éditions Belfond, 1983
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Chants, © éditions Comp’Act, 1988, rééd. 1994
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Les poèmes de mes fils,© éditions En forêt, bilingue français-allemand, 1997
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Terra Nostra, © éditions le Cherche-Midi, 1999, Prix Louise Labé
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Les dieux manquent de tout, © éditions Aspect, rééd. 2004
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Rumeur du Monde, © éditions l’act Mem, 2007
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Aimez-vous la mer le tango, © éditions En Forêt, 2009
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Travaux de lumière, © éditions La Rumeur libre, 2010 Prix Mallarmé 2011
Récits
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Traductions de poésie espagnole
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Participation à des anthologies
Distinctions
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1963, Prix Tené Blieck
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1973, Prix Jean Cocteau
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1999, Prix Louise labbé
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2011, Prix Stéphane Mallarmé
Internet
Contribution de Hélène Millien
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