Croisé d'on ne sait quelle cause
on marche sans répit
bannière foulée pieds bleuis
mots pliés dans les linges
pour les guetteurs d'oracles
qui sauveront nos larmes
Le prochain cri de tourterelle
marquera la halte
où le corps recomposé
s'étoilera des pierres de la route
In Obstinément l'enfance © Aspect 2005, p.12
Danièle Corre déploie, dans sa vie comme dans son œuvre, une vaillance de croisé, alliée à une douce sensibilité.
Richard Rognet écrit à son propos, dans son introduction à Obstinément l'enfance : je suis de tes guetteurs d'oracles, je recompose les temps morts, les temps réveillés, les temps qui nous obsèdent, je reprends avec toi, Danièle, force et vie.
Ce sentiment, le lecteur l'éprouve d'emblée, qui, toujours selon Richard Rognet, s'obstine avec elle et chaque fois reprend haleine, après avoir jeté sa bouteille à la mer.
Modeste avant tout, Danièle Corre s'étonne qu'on puisse retrouver vigueur à la lire et motif à se remettre à espérer et pourtant :
Il suffirait de déplacer
le calque des frontières
pour que le monde s'étonne
de ses recommencements
(extrait) ibid p.24
****
Qui réveille nos forces
et secoue ainsi la nuit ?
(extrait) ibid p.48
****
Quelque veilleur surgit
à l'angle d'un soir
(extrait) ibid p.49
La vie lui a donné de multiples occasions d'affronter le découragement, son dernier livre La vie seconde, dédié à sa fille Cécile handicapée et paru aux Éditions Tensing, en février 2014, en témoigne. Elle a délibérément choisi de faire face et de se battre indéfiniment, rien d'étonnant à ce qu'elle entraîne son lecteur à sa suite.
Un temps mort
un temps à relever
par les épaules
dans l'infinie douceur
avec des précautions
de grand brûlé
un temps à panser son silence
à l'ourdir du complot de nos forces
pour que dans l'arrêt des fièvres
le sang reprenne son périple bleu
Ibid p.13
Comme chacune de nos vies, Obstinément l'enfance évoque des souvenirs assassins, de petits tas de cendres, qu'elle tente de ranimer de ses mains ravaudeuses, quand les os crient et qu'à l'échancrure du cri, il convient de s'asseoir dans le risque des racines, pour trouver des forces, dans la première pluie.
Chacune de ces étapes douloureuses exige ensuite sursaut et dépassement, que l'auteur nous partage avec une lumineuse bonté.
Il est des heures où
on se lasse
de soutenir les édifices
d'empêcher
à bout de bras
que le ciel écrase la terre
que les toits perdent
leurs ardoises
Il fut des heures
de tricot doux
de voix câlines
de plats mijotant
à l'ombre des veillées
d'offrandes à nos portes
De préférence
on sacrifia
ceux qui n'avaient commis
ni blasphème
ni offense
mais dont les rires
éclaboussaient
le silence
ibid p.57
À la lumière de son dernier livre, on saisit mieux l'allusion, dans cette dernière strophe, aux laissés pour compte de la vie, pour cause de différence, tandis que, dans le poème suivant, la mère évoquerait barrières et portes à franchir lors d'un parcours du combattant qu'elle connaît bien.
Toutefois, ces poèmes demeurent universels.
Sans cesse
on traverse des cloisons
qu'on crève
ou qui retombent derrière nous
sans bruit
Qui paraît alors
dépouillé
reconstruit
regard surpris
par les toiles mouvantes
de nos abris
les plus sûrs ?
Qui suspend le pas
et craint de naître ?
ibid p.65
Pour finir voici deux poèmes, le premier empreint de délicatesse et le second, qui clôt le recueil, chargé d'infinie confiance envers le lecteur, nous font découvrir les multiples qualités humaines de leur auteur, qualités qui nous la rendent très attachante.
Ne heurtez pas
l'être qui brusquement
s'arrête
Il pourrait
s'effriter
chercher longtemps
ses fibres ses os
mal reconnaître
son tracé
les longs canaux
qui l'ont irrigué
Proposez
prudemment
le petit pain
des mots
nourriciers
Ibid p.46
****
Porte-moi un instant
sur la grande route
où l'on meurt
J'avais mis en caisses
des rires qui s'échappent
d'un charroi mal ficelé
et tombent sur mes bras
dans le silence des astres
Des visages sont passés
tenus à bout de forces
à bout d'espoir
Porte-moi un instant
sur la grand-route
où l'on meurt
L'enfance jouera
sur des terre-pleins de clarté
qui nous sauveront
Ibid p.99
Au risque de faire rougir Danièle Corre, disons-lui, en retour, combien nous est précieux ce partage et émouvant ce tutoiement qu'elle utilise envers nous, ses lecteurs.
Bibliographie consultée
-
Obstinément l'enfance © Aspect 2005
-
La vie seconde, récit, © éditions Tensing 2014
Internet
-
un article paru dans la Revue Les hommes sans épaules
-
un entretien sur dailymotion où elle lit ses textes
Contribution de Roselyne Fritel
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