Un chercheur d'étoiles dans la poussière des routes
Lisant le livre de Jacques Pautard, « Grand chœur vide des miroirs », publié aux éditions Arfuyen, je suis aussitôt happé par ce grand tourbillon d’écriture et je remonte le temps à travers ma propre mémoire. C’était juste après les événements de Mai 68. Le romantisme de l’époque incitait à tout lâcher. Comme le fit Jacques Pautard, nous étions quelques-uns à partir sur les routes, sac à dos, dormant à la belle étoile et sillonnant la France par la marge, souvent parcourant l’Europe ou rejoignant l’Inde en stop, attirés – du moins pour ma part – par la spiritualité hindoue, y compris dans ses pratiques. Mais il n’est pas nécessaire d’avoir connu la « route par tous les temps » pour se laisser emporter par l’écriture de Jacques Pautard qui vous livre à l’errance des mots, comme autrefois il s’abandonnait à celle de la route. Il écrit :
« Oui, même poème indécis, même rêve de chair et d’os
sur la route ou sur le cahier, à longue page, à cœur serré,
vous donnant la sèche leçon d’un monde ne s’appartenant
qu’à ne jamais se devenir… »
Qui écrit encore de longs poèmes aujourd’hui ? C’est pourtant la singularité de Jacques Pautard d’avoir choisi cette forme pour nous délivrer sa touchante autobiographie. Il aurait pu l’écrire en prose, mais le poème, par sa disposition spatiale, est plus adapté à sa démarche. Au fil de sa dérive dans les lieux, ce qu’il a ressenti, ce qu’il a vu et vécu, il le jette sur la page en rafales et en crépitements d’étincelles dont il nous illumine. Et d’un seul coup, on se sent le cœur étreint comme avec un vieux blues. Les territoires qu’il traverse, campagne, villages ou villes, il nous donne l’impression de les éveiller à leur propre rêve en même temps qu’au sien : « Le silex des routes arrachant l’étincelle première à nos paupières », écrit-il. Son écriture prend parfois la tournure d’une méditation philosophique, comme celle sur le monde dans le chapitre « Parvis de Sainte-Madeleine » :
« … le monde dans sa transparence à lui, la pure gratuité
du don sans limite qu’il s’est, le monde qui sait s’aveugler
si subtilement sur lui-même, se jouer si superbement
du piège de ses quantités,
et montre en défaut, en absence, en insuffisance ce qui
est sa nue générosité… »
Autobiographie, ai-je dit. Jacques Pautard porte en lui cet homme blessé dès sa plus tendre enfance, le rejeté, le banni, de surcroît métis, livré dans son adolescence aux affres d’une maison de correction. Je ne connais rien de plus touchant que les chapitres « Les cœurs verts » et « Petite ville » qui relatent cette période et dont le lecteur ne peut sortir qu’écorché. Ce qui vient crier là c’est la détresse « d’une jeunesse punie », d’une innocence salie. C’est en même temps un appel, une demande absolue d’amour à la ville, Vesoul, qui l’a renié, et avec cela l’espoir, l’espoir insensé en la vie. De ce livre, on ne sort pas indemne. On voyage avec lui, dans la mémoire du réel, de son réel à lui, et dans l’écriture qui déploie pour nous ses routes, son dédale et ses recoins obscurs.
Extrait :
« Et puis ces rives applaudies de mouettes, où venait s’ancrer
droite la tige de l’azur… Le lendemain toute la mer, toutes les grèves
vous regardent à ce miroir de cris d’oiseaux, ce ciel ouvert soutenu d’ailes
où votre vie à l’infini des grands rivages sans horaires
vous revient au cœur sans une ombre
ainsi qu’au matin du poème une liberté retrouvée.
(Vraiment croyant pouvoir prendre le monde à ce moment, peler l’océan
certains soirs, à vie brasser voile de songe…).
Bibliographie partielle
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Grand chœur vide des miroirs, © Arfuyen, juin 2014
Internet
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Jacques Pautard sur le site de Arfuyen
Contribution de Alain Roussel
A tête reposée, je lis de plus près cette très belle et si juste note et vous en remercie.
Rédigé par : France Burghelle Rey | 07 septembre 2014 à 05:59
Merci pour cet article auquel je suis très sensible car j'ai écrit moi-même une note sur ce livre magnifique qui paraîtra normalement dans " Europe " de janvier et dont l'incipit se trouve sur mon blog à mon nom.
A bientôt.
Très cordialement.
France B.R.
Rédigé par : France Burghelle Rey | 06 septembre 2014 à 12:34