Promenade nocturne
Par une nuit si dégagée
L’esprit s’élance vers le ciel ;
Après une journée ardue
Le spectacle chronométré
Produit un effet dans le style
Dix-huitième, un peu ennuyeux.
Quelle paix pour l’adolescence
De croiser ce regard cynique ;
Ce que je faisais ne pouvait
Être aussi choquant qu’on disait,
Puisqu’il continuait de briller
Après la mort des offensés.
Aujourd’hui, peu prêt à mourir,
Mais déjà parvenu à l’âge
Où les jeunes commencent à vous irriter,
Je suis content que ces points dans le ciel
Puissent être comptés aussi
Parmi les créatures entre deux âges.
Il est plus reposant de penser que la nuit
Est une maison de retraite
Plutôt que le hangar d’une machine parfaite,
Et que la lueur rouge précambrienne
A disparu, ainsi que la Rome impériale,
Ou moi avec mes dix-sept ans.
En survenant cette nuit même
Par une loi non établie,
Quelque incident a pu jeter déjà
Son premier petit Non à la justice
Des lois acceptées pour régler
Notre monde d’après-déluge.
Mais là-haut les étoiles brillent,
Inconscientes des fins dernières,
Comme je rentre me coucher,
Cherchant quels jugements attendent
Ma personne, tous mes amis
Et ces États-Unis.
In Poésies choisies, traduction Jean Lambert, © Gallimard, 1976
Ce texte fait partie de l’anthologie de Jean-Pierre Luminet, Les poètes et l’univers, parue au Cherche-Midi éditeur en 1996. Jean-Pierre Luminet, dans cet ouvrage, a voulu rassembler des textes de poètes qui, dans leur œuvre, ont interrogé le ciel avec les mots et la langue de la poésie. Il a jeté une passerelle entre le poète et le savant, rejoignant ainsi Saint John Perse lorsqu’il disait dans son discours de réception du Nobel : « […] de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l’un équipé de l’outillage scientifique, l’autre assisté des seules fulgurations de l’intuition, qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence. La réponse n’importe. Le mystère est commun. Et la grande aventure de l’esprit poétique ne le cède en rien aux ouvertures dramatiques de la science moderne. Des astronomes ont pu s’affoler d’une théorie de l’univers en expansion ; il n’est pas moins d’expansion dans l’infini moral de l’homme – cet univers. Aussi loin que la science recule ses frontières, et sur tout l’arc étendu de ces frontières, on entendra courir encore la meute chasseresse du poète. Car si la poésie n’est pas, comme on l’a dit, « le réel absolu », elle en est bien la plus proche convoitise et la plus proche appréhension, à cette limite extrême de complicité où le réel dans le poème semble s’informer lui-même. »
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Contribution de PPierre Kobel
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