À l’heure où les scientifiques franchissent une nouvelle étape de la découverte de l’espace, repoussent les limites de sa connaissance en faisant se poser le robot Philae sur une comète, on se souvient que les poètes n’ont jamais cessé d’accompagner leurs progrès et les aventures humaines des explorations au fil des siècles.
Ainsi Sophia de Mello Breyner quand elle chante le roi portugais, Henri le Navigateur.
Henri le Navigateur
Aux hommes il ordonna de naviguer
Toujours plus loin pour voir ce qu’il y avait
Et toujours vers le sud en s’enquérant
De la mer, de la terre, du vent, de l’accalmie,
Des peuples et des astres
– il ordonna
De pénétrer chaque jour l’inconnu
In Malgré les ruines et la mort, traduction de Joaquim Vital, © La Différence, 2000, p.601
Dans un autre temps, le poète anglais Edward Young, dans son recueil des Nuits de Young, rêvait d’un espace infini, de planètes différentes et inconnues.
Les nuits
(extrait de la Nuit XXI)
Le désir de toucher au dernier terme des êtres s’éveille dans mon âme. Je veux m’élever de sphère en sphère, et parcourir l’échelle radieuse que la nuit me présente. Elle s’abaisse jusqu’à l’homme, c’est pour qu’il monte : je ne balance plus ; je me livre à la pensée. Enlevé sur son aile de feu, je m’élance de la terre comme de ma barrière. Comme je vois déjà son globe s’éloigner et décroître à mes yeux ! Avec quelle vitesse je me sens monter ! J’ai passé l’astre de la nuit. Je touche au rideau d’azur des Cieux. Je l’ai passé : j’ai pénétré dans les espaces reculés. C’est ici qu’atteint l’œil savant de l’astronome : c’est ici que se borne sa vue allongée par son tube merveilleux. À chaque planète que je trouve sur ma route, je m’arrête, je l’interroge sur celui qui fait briller et rouler son orbe. Du vaste anneau de Saturne, où des milliers de terres comme la nôtre seraient perdues, je m’élève et suis avec audace le vol hardi de la comète. J’arrive avec elle au milieu de ces soleils souverains qui brillent d’une lumière indépendante, âmes des mondes, par lesquelles tout vit et respire. Que vois-je ici ? Un espace sans bornes semé de sources enflammées. Des globes plus vastes que les nôtres, roulant dans des cercles plus élevés. Avançons plus loin : ma course n’est que commencée. Ce n’est sans doute ici que le portique du palais de l’Éternel... Quelle est mon erreur ! l’Éternel est bien au-dessus. Je rampe encore. Plus j’avance vers lui, plus il recule loin de moi... où donc doit habiter l’étonnant Architecte qui a bâti si magnifiquement pour loger un insecte, l’homme ?
Arrêtons-nous donc ici, et respirons un moment. Où suis-je ? Où est la terre ? Soleil, où es-tu ? Que le cercle où tu voyages est étroit ! Je suis ici debout sur le sommet de la nature. Mes regards dominent son enceinte. Que de milliers de Cieux et de mondes je vois rouler sous mes pieds, comme des grains brillants ! Arrivé si loin et dans des régions si nouvelles pour moi, puis-je n’être pas curieux d’apprendre quels sont les habitants de ces climats si différents de la terre, où jamais mortel n’aborda vivant ?
Cité in Les poètes et l’univers de Jean-Pierre Luminet, traduction de M. Le Tourneur, © le cherche midi, 1996, p.314
Plus près de nous, Pierre-Albert Jourdan inscrit dans son œuvre les murmures d’une absence aux ailes d’ange.
Ce sont des battements d’ailes très doux
dans la banalité grise d’un ciel éteint
on entend cette voix
tapisserie disjointe de la terre
laisse rousse semée d’oiseaux
on entend ce murmure déchirant
sauvé…
provisoire…
on ne peut se fier qu’à ces ailes douces
on ne peut que bâtir sur l’absence
en son nom d’ange
car la piété ce beau nuage bas
nous conduit vers cette porte de nous-mêmes
où de grands chiens fauves s’endorment
sur une herbe scintillante
nommant clarté cette dépossession infinie
In Le bonjour et l’adieu, Ciel absinthe, © Mercure de France, 1991, p.409
Concluons cette suite de textes avec Guillevic qui fait le lien entre les projections hypothétiques du savant et les variations méditatives du poète. Même démarche pour répondre aux grandes inconnues de notre existence et de nos origines.
Cercle
à Jean Lescure
Toi, profondeur
Dans ta surface.
Profondeur assise
Au seul niveau
De la surface
Et pas de fuite
Dans aucun volume.
Parfaitement plein
Dans ta profondeur,
Dans l’immobile va-et-vient
Qui te nourrit.
Profondeur en toi
De chacun des points
Pour les autres points qui te font le cercle.
L’ennui
Vaincu.
In Du domaine, Euclidiennes, © Poésie/Gallimard, 1977, p.158
Internet
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La mission Rosetta sur le site du CNES
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Sur Wikipédia
Contribution de PPierre Kobel
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