Obscurcir l’obscur pour trouver la lumière
Certains hommes portent en eux comme une fatalité d’exil. C’est presque une manière d’être. Le monde dans lequel ils vivent leur semble étrange, du moins ils s’y sentent étrangers. Ils ont beau essayer, grâce au langage, de se l’approprier par les noms, de le comprendre ou de le réinventer par l’imagination, rien n’y fait. C’est que les mots eux-mêmes sont obscurs et même là, dans cette matière mentale, le sentiment d’exil s’insinue et s’incruste. Ces hommes-là sont étrangers dehors et dedans. Quand je lis le dernier livre de Max de Carvalho, « Les Degrés de l’incompréhension », publié aux éditions Arfuyen, c’est précisément ce que je ressens. Puisqu’exil il y a, l’auteur s’attelle à cette tâche de le rendre plus définitif encore. Il ajoute de l’exil à l’exil jusqu’au plus proche et au plus intime. Ainsi écrit-il :
« Sans quitter ta demeure
ni les tiens tu partiras
sans t’éloigner tu connaîtras
l’éloignement, dans la plus
grande proximité de l’exil,
la solitude en chaque chose
et sur toi ce regard. »
Cela se fait par étapes. Comme pour la Connaissance qui s’offre souvent à notre représentation par l’image symbolique d’une échelle à gravir, il y a, dans la démarche de Max de Carvalho, une ascension, des degrés à franchir pour atteindre à une sorte d’incompréhension suprême. C’est, d’une certaine manière, une expérience mystique. Cette fois, on ne procède pas par dévoilement, mais par obscurcissement : on obscurcit davantage ce qui est obscur. Plus la nuit du sens est profonde, plus elle est lumineuse, plus elle éclaire et guide, car « la nuit est le grand timonier ». Par cette méthode, Max de Carvalho cherche « cette saveur à quoi le goût lui-même manque » ou ce que « l’énigme du reflet nomme sans nom ». Mais il arrive que les marches se lézardent et que l’auteur renonce provisoirement à l’exil, s’abandonnant à l’ivresse de la présence, dans une proximité retrouvée, même si le monde n’en devient pas plus compréhensible pour autant. C’est presque toujours la femme qui en est l’instigatrice :
« La sueur, cette saumure
qui sur le corps ruisselle,
seins nus, ses rousseurs.
Rubis, le sel des roses
détrempe la rosée –
et sous son or ta
plus intime salive. »
Outre sa tonalité « haïkaï », le dernier texte du livre, « Le Pouvoir d’apprivoisement du petit », entretient pour moi une sorte de dialogue invisible avec « Treize manières de regarder un merle », de Wallace Stevens.
Bibliographie partielle
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Les degrés de l’incompréhension, © Arfuyen
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Adresse de la multiplication des noms, © Obsidiane, 1997
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Enquête sur les domaines mouvants, © Arfuyen, 2007
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Ode comme du fond d’une autre réalité, © L’Arrière-Pays, 2007
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La poésie du football au Brésil, Epinicie pour le pays des palmeraies, © Chandeigne, 2014
Internet
Contribution de Alain Roussel
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