y avait de la terre dans mon seau il pleuvait, et tout
s’est mouillé, mes yeux comme le ciel, tout s’est emmêlé,
tout s’est arrêté brusquement, le souffle coupé
Une seule traite. Bout de souffle.
Les traces d’oralité dès la première page : « y avait de la terre dans mon seau ». Quelques blancs intercalés, pour respirer. Mais relance immédiate, écrire se présente comme une plongée dans l’eau pour remonter vers soi. La mémoire, le temps. Les morceaux jusqu’au vertige, ciel et page confondus. Narcisse et son visage dans la flaque parce qu’il pleut, dès le début. Et qu’on est seul(e), « comment dire », on bute, on lâche le pire « comme si nous étions deux ». Du coup le visage reflété devient symptôme du manque, « ce qui va contre le vent et qui a mal, par rafales dans la figure quand on va contre c’est comme ça, des grands coups de rafales en pleine figure ».
La narratrice assume son « je », le creux, souffre et les « rafales » dans les phrases se répètent, on les retrouve en plusieurs lieux, la phrase en rond les mâche. Pour passer le temps « ici s’étire ». L’encombrement, c’est le corps trop plein de soi, la page gobe les paroles, les lance, elles retombent un peu plus loin. Vaine acrobatie, « ça flotte ça serre ça craque ». Passer le temps, écrire contre le mal d’une peau qui aurait pu être inversée, mal attribuée à la naissance. Le je flotte.
La pluie des mots sur le papier, le seau, le son, la flaque. Au même, on revient, à la boue, tout est trouble. Le mot, est-ce lui ? celui du deux qui n’est pas — la narratrice est seule. Il pourrait recoudre au cercle, un double, une conduite. Un fil. Et le texte avance à cloche-pied, au rythme des gouttes qui claquent.
Des images en sortent (dégoulinantes). On dirait des larmes, des virgules, nombreuses, elles ralentissent cette cadence où le monde entoure, enserre, reflète le ressenti projeté. Flaques encore. Des mots en sortent, « morceaux » revient comme fragments constituant le texte et la personne. Narratrice prise dans l’éphémère redondant du ciel couvert qui déverse.
C’est le récit troué du moi : page « brèche » où séquencer et « plonger » ou « blottir », où le cœur bat, pulsation faible (« un drôle de silence cogne dedans »). Bruit, voix de l’autre, cet absent, ce blanc qui génère « des grands trous dans l’histoire ». On sait peu de cet(te) autre, « ses mains qui travaillent –dur – ses mains qui prennent la terre par poignées », le (la) reliant au titre, ou « non, je ne saurai jamais, ce qu’il y avait sous tes paupières, qu’as-tu emporté avec toi là-bas » ? Terre et mort voisinent, ce blanc pourrait bien couvrir de terre et réveiller les morts (ce mort/cette morte), « comme si j’entendais les voix des années après ».
« [H] istoire ébréchée », « une page déchirée », à cet endroit du récit. Pluie devenue moteur des trouées, des accès troublés de la mémoire. Une déambulation, l’atténuation d’une expression, « cortège d’hommes en noir, la boîte juchée sur leurs épaules la marche longue et lente, l’odeur forte des fleurs ». La pluie comme l’écriture, le texte comme la flaque, personnage inquiétant, le reflet ne montre que les trous. Narratrice, « là », « ici », l’espace pourtant toujours inchangé du résultat de la pluie. Quand on écrit. La mémoire déterrée, dans le seau, reliée, détachée de soi.
En deuxième partie, le détail d’un corps « tout chaud encore », Monique, une identité, un suicide par noyade. Monique flottant dans cette mare si peu profonde. Et, comme message ultime, deux chaussons laissés, côte à côte sur le bord de la mare. Deux mots indéchiffrables ? Et puis Monique portée en terre.
La narratrice retrouve les faits dans l’eau et dans la terre, se retrouve. Tourne alors ses yeux vers la famille qui entoure la mère, le père, les fils. Chacun dans son rôle, « unique fois ». Et les trouées comblées par la fracture et l’énigme d’un départ où l’eau sangle la mémoire et les mots, prisonniers, qui ont tenté de traverser la flaque pour écrire.
Bibliographie partielle
- Christine Girard, De la terre en mémoire, © Éditions Faïfioc, 2014
Internet
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Le site des éditions Faï fioc
Contribution d'Isabelle Lévesque
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