Deux exemples des textes de ce recueil sensible de Pierre Perrin paru en 1996 chez Cheyne. On peut encore le trouver sur le marché du livre d'occasion, marché hautement utile aux amateurs de poésie.
« La poésie, c’est une voix singulière et plurielle à la fois. Tout ou presque la nourrit, dès qu’un rythme emporte le lecteur. La découverte recrée une émotion. Cette dernière a suscité la page. Elle attend de renaître entre les lignes. Elle appréhende la précarité, attise l’existence. L’aporie multiplie le désir, sans négliger l’éclatement des leurres. » écrit Pierre Perrin pour tenter de définir son intention. Sa prose qui n'est que poésie pour dire la vie qui passe, celle des autres et la sienne au fil du vieillissement, pour s'arrêter à « la merveille de vivre » par les corps partagés, pour s'interroger sur l'écriture, la chimère qu'elle représente et l'impossibilité de s'en départir.
Le change
Un jour il avait relu, comme on écosse des petits pois, ses livres, et le dégoût l’avait accablé. L’insignifiance et la prétention sautaient de conserve, tel un chien débile, trop court. Aucune grâce, ni l’alliance d’une image argumentée, ni, sur la table des concepts, une sensation qui picorât juste.
Il avait cru tisser des fils de lumière et, pour cela, chéri la douleur. À chercher la passion comme d’autres l’or, la sagesse à ses yeux avait paru le poéticide. Il vivait ainsi dans une chaudière, à cracher de l’encre. À œuvre neuve, esprit nu ! mais l’esprit avait avorté.
Quand la beauté le fascinait, au premier pas vers elle, il reculait. Il ne jouissait que de l’impuissance à vivre la réalité. Le partage le faisait fuir. Frigorifié, jamais transplanté, il ne trouvait que des dos et des talons et la moindre taupinière le jetait par terre.
Il piaffait, il hurlait, puis il reprenait l’élégie. L’émotion emplissait sa bouche, comme de la terre ; il n’avait pas de langue pour l’expulser. Il brillait à peine, en s’immisçant dans l’éclat des autres. Pour rayonner, sans que nul ne demande rien, il eût fallu que la vie déborde.
Tout aux sirènes de l’aventure, il était dévoré par de petites déroutes. Il ne se prêtait qu’à des illusions. Du bonheur, il ne dressait que la caricature. L’air lui manquait, tout lui manquait. Le cœur, imberbe, les frustrations à vif, le moindre sel le brûlait.
Ses rares fous rires tournaient au tragique et mauvais comédien, séducteur aveugle et sourd, défroqué, mais resté confit en introspection — encore qu’incapable de sucer les graisses de l’intérieur —, ses mots ne valaient pas un pissenlit.
Dans l’habitat toujours précaire de l’impossible, en refusant la défaite, l’évidence qu’il n’y avait aucune révélation à tenir, contre toute attente, en même temps qu’elle l’avait fauché net, lui avait ouvert les yeux et le transportait enfin, de son ignorance vers… il ne savait quoi.
In La vie crépusculaire, © Cheyne, 1996, p.45
****
L'équilibre
Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt, un jour le vent se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l’aise dans sa langue qu’on peut l’être dans sa peau. Il n’écrit pas une leçon ni pour sauver quoi que ce soit ; l’oubli est partie intégrante de la vie ; il écrit pour le plaisir de donner sans détour. Car si quelqu’un prend le poème par les yeux ou les oreilles, il peut l’habiter quelque temps, comme on le fait avec un être dans l’amour réciproque, à ceci près que la communication poétique reste solitaire.
Le poète à maturité ne se demande pas d’où lui arrive la voix ; il travaille de son mieux la merveille et l’épouvante, le dégradé entre les deux et il respire ; il fend l’air de son existence. Le poème vit tel un arbre qui, jeune ou vieux, grandit, pourrit ou bien qu’on débite et qui finit au feu. Mais peu importe à l’individu, que le souffle emporte, immobile — même si la beauté préfère l’engouement et le partage.
In La vie crépusculaire, © Cheyne, 1996, p.45
Internet
Contribution de PPierre Kobel