À l'occasion du 18e Printemps des Poètes, Télérama publie un numéro hors série Le parti-pris des mots qui se veut un panorama de la poésie du XXe siècle. Un numéro qui a le mérite d'exister. Est-il pour autant le reflet de la réalité ?
Première partie, « Les légendes du siècle » : huit poètes, huit hommes. Et seulement Catherine Pozzi parmi le choix de textes d'auteurs qui suit. Deuxième partie, « Paysages après la bataille » : neuf poètes, seulement deux femmes, Andrée Chedid, Anise Kolz. Troisième partie, « Un son neuf » : treize noms d'auteurs cités dont seulement trois femmes dont Valérie Rouzeau plus longuement. La poésie féminine n'est-elle là qu'une caution quand tant de femmes écrivent une œuvre neuve et de qualité ? J'entendais déjà Henri Deluy l'affirmer, il y a quinze ans, à l'occasion d'une Biennale des Poètes en Val-de-Marne, l'édition de poésie le prouve mois après mois.
Quand Nathalie Crom en exergue de la revue parle d'une « époustouflante diversité » et d'une « traversée du XXe poétique », cette diversité ne s'en tient qu'à une ou deux générations, négligeant des pans entiers d'écriture, au portrait de quelques grandes figures que nous sommes nombreux à lire avec enthousiasme, mais qui sont là des arbres qui cachent la forêt. La traversée se contingente à d'étroites frontières et Césaire, malgré sa richesse, ne saurait représenter à lui seul toutes celles de la francophonie. Autre richesse oubliée, celle des voix étrangères qui ont choisi d'écrire en français.
Dans les pages qui terminent ce hors-série, certaines sont consacrées à l'univers des revues. Là encore un travail bien succinct qui est un tableau plus que partiel du foisonnement des titres. Certes le papier n'a plus la prééminence d'antan et Internet a pris le relais avec une liberté d'accès pour le meilleur comme pour le pire. Mais s'en tenir à si peu de références, c'est réduire à l'extrême ce foisonnement de ressources accessibles à toute curiosité qui veut s'en donner la peine.
Faut-il ajouter à cela l'indigence de la rubrique citant les éditeurs ? Il est vrai que de bout en bout de ce hors-série, Télérama ne fait nulle mention de l'omniprésence de Gallimard dans sa réalisation. Après tout, il n'aurait pas été déshonorant de rendre à César ce qui lui appartient. Je regrette que cela devienne de la publicité déguisée, sinon masquée. André Velter rappelle que six des dix premiers titres de la grande maison étaient de poésie. Heureux temps ! Heureux temps également et plus proche quand un Jean Grosjean pouvait encore publier au Mercure de France, un inconnu nommé Thierry Metz, quand le même Jean Grosjean, quand Claude Roy étaient attentifs aux jeunes expressions.
Aujourd'hui Gallimard fête les 50 ans de son emblématique collection Poésie après avoir constitué un fonds patrimonial exceptionnel qui est une référence. Les limites de l'entreprise, c'est le quant-à-soi d'une maison d'édition qui a perdu de son audace et laisse aux autres prendre les risques pour ne rafler la mise qu'au bout du compte. Parfois le prestige n'a pas autant de superbe qu'il y paraît.
Le hasard veut que je lise en parallèle de ce hors-série de Télérama, le livre de souvenirs que Colette Seghers consacra à son mari en 1981, Pierre Seghers, un homme couvert de noms. Page 34, j'y lis :
(…) une maison d'édition, un éditeur, qu'est-ce au juste ? On a tendance à croire que l'éditeur doit naître matériellement nanti et qu'il doit posséder, de plus et comme par droit divin, le pouvoir d'arbitrer la qualité de ce qu'écrivent les autres. Côté budget, en ce qui concerne Seghers, le ciel ne pouvait pas moins faire. Lorsqu'il arriva à Paris, il ne possédait que sa réputation ! Mais le droit divin ? L'arbitrage ? Seghers n'a jamais eu de comité de lecture et il lui revient donc de porter intégralement le poids — positif et négatif — des manuscrits qu'il a accueillis, de ceux qu'il a refusés ou manqués, de ceux qu'il a aimés ou méconnus. Mais je voudrais dire que la « rencontre » entre Seghers et ses auteurs a, me semble-t-il, la plupart du temps, été l'occasion d'une joie partagée. On ne s'y trouvait pas d'un côté et de l'autre d'une table, c'étaient chaque fois des liens durables, proches ou météores, soleils ou saudades comme on dit au Brésil, brèves rencontres souvent qui vous chargeaient pour toute la vie d'un regard, d'une compréhension, d'un visage. Dans l'édition, telle que Seghers la concevait, un livre n'était pas seulement une œuvre, une voix, un langage, mais un maillon d'amitié qui aidait à porter, à chaque fois, le langage de l'autre et sa propre énergie.
Des phrases pour dire que la poésie n'est pas seulement le bien réservé d'un sérail universitaire et éditorial, qu'elle ne se tient pas au seul parcours de quelques voix émergentes et remarquables, voire à l'aventure teintée de vanité dédaigneuse de quelques autres qui ne s'en réfèrent qu'à eux-mêmes. Certes il y a une échelle de valeurs entre des écritures, certes le syndrome Victor Ego frappe encore et Internet, les réseaux sociaux lui donnent du grain à moudre. Mais la poésie, et c'est un viatique que je ne cesserai de porter, est une langue en soi qui sous-tend l'arc du monde en pleine osmose avec ses hauts et ses malheurs.
Pour conclure cette page, on trouvera ici une page de liens de La Pierre et le Sel. C'est un choix incomplet, d'une subjectivité assumée tout autant que j'en revendique l'honnêteté. Cette page évoluera au fil du temps et toute correction signalée sera la bienvenue.
La poète brésilienne Cecila Meirélès, citée par Colette Seghers écrivait :
Je chante parce que l'instant existe
et que ma vie est complète
Je ne suis ni gaie ni triste
je suis poète
Bibliographie partielle
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Robert Sabatier, Histoire de la poésie française, neuf volumes dont trois consacrés à la poésie du XXe siècle, © Albin Michel
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Bruno Doucey et Christian Poslaniec, Bris de vers – Les émeutiers du XXe siècle, © Bruno Doucey/Printemps des poètes, 2016
Contribution de PPierre Kobel
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