Les éditions du Petit Flou proposent dans leur collection Un coup de pied à la lune de petits livres (10,5 x 8 cm) imprimés sur des papiers artisanaux différents pour chaque volume, choisis avec l’auteur et une impression typographique, elle-même artisanale.
De la construction transitive directe et indirecte du verbe « parler », Rémi Checchetto tire un précepte. Arbres seuls, ils ont perdu leur langue, celle qui, élevée, leur permettait d’entendre les oiseaux et de leur répondre. Entre eux, ils « ne s’échangent plus les oiseaux ». Disparus, les oiseaux1. Nous entendons la solitude de la séparation en acte dont elle est le résultat comme si, pour nous surprendre et nous donner son chant, le poète déplaçait son récit, simplement amorcé, dans l’approche d’un ciel vide (effondré). Le verbe « être » au sens total et définitif du présent d’éternité définit l’espace comme l’abri terrible d’une succession de solitudes juxtaposées. Privé de notes, l’arbre. Cela revient à être nu et sans défense.
Parabole et raccourci pour exprimer la successive désertion des arbres soutenue par l’anaphorique renfort de la conjonction « et » qui ouvre de nouvelles défaites, chaque fois, « et les arbres persistent » pourtant. Démesure, peut-être, de leurs troncs gigantesques qui se jouxtent, « que peuvent-ils faire d’autre ? » Pris dans « leurs rôles », en l’absence « du dire léger des oiseaux » qui fait tache de sang au milieu de tous les arbres, comme l’absence peut blesser, s’ouvrir rouge.
Rémi Checchetto scande, déplore et ce sont les formules répétées et glissantes qui tissent le texte d’expressions redondantes le faisant entrer en musique et tempo, « c’est que quelque chose a été arraché ». L’indétermination suggestive et douloureuse du pronom en quête d’un appui, car « le corps des arbres est bloqué » et la personnification gagne, elle déplace la douleur. « [C]ette sauvagerie » révélée donne un corps aux arbres (une souffrance), incarne la privation en chacun de ses membres nommés, « pieds et mains et pensées liés », démembré aussi l’être caduc qui n’est plus lié au chant, au ciel. Des parenthèses s’accumulent (ailes arrachées ?), vérité révélée du compte de ce qui manque, car ôté : chaque note du chant disparu.
« et quelque chose est en moins
dedans chez les arbres
appelons cela les oiseaux
disons
(et ce sera plus juste)
(et nous serons plus proches)
(serons alors des deux mains dans la diction du vrai)
(c'est-à-dire de l’autre côté de l’écran de fumée du blabla)
(c’est-à-dire sans mettre un silencieux à la vérité)
plutôt la joie »
Dans cet apologue, comme les arbres sont seuls, les oiseaux et la poésie font corps pour construire une langue vraie contre le « blabla » des mots vides. Poésie légère et vitale, elle manque.
La joie/le oui ont perdu l’élan, ce qui fait qu’au ciel toujours un oiseau traverse la lumière et la restitue dans son chant que les branches entendent, retiennent comme sève.
1 « C'est une hécatombe : avec 421 millions d'oiseaux de moins en trente ans, la gestion actuelle de l'environnement en Europe apparaît incapable d'enrayer la disparition de nombreuses espèces récemment encore considérées comme communes. » Le Monde
Bibliographie partielle
- Rémi Checchetto, Les arbres ne parlent plus oiseau, © Éditions du Petit Flou, 2016
Internet
- Site personnel de Rémi Checchetto
- Éditions Le petit flou
- Éditions de l’Attente
- Ce qui reste
Contribution de Isabelle Lévesque