On connaît le travail de Daniel Martinez à la tête de la revue Diérèse qu’il fonda en 1998. Le numéro 68 vient de sortir, toujours aussi dense, aussi riche. Dans un entretien qu’il nous accordait en novembre 2011, il nous faisait part de cette aventure et de ce qu’il en attendait.
C’est ici le poète Daniel Martinez qui nous interpelle alors qu’est publié par Le lavoir Saint-Martin son recueil Le Temps des yeux. Des textes à l’écriture très maîtrisée, d’une facture au classicisme assumée. Une forme qui, pour autant, laisse poindre l’empathie de Daniel avec le monde, « cette sorte de grandeur qui nous établit dans la vie, dans ses menées, ses mille et mille nuances où se concentrent nos tensions et se réconcilient nos turbulents antagonismes. »
Un recueil très personnel dont une grande part est constituée de lettres à Gaëlle, la fille aînée de Daniel Martinez. Une paternité qui libère et éclaire l’existence de l’auteur ainsi qu’il l’écrit :
« Les émotions sont constitutives de la raison : à l’image de ces fameuses décalcomanies, la seconde feuille levée la révèle, sans coup férir. j’ai longtemps cru que la raison gouvernait notre conscience. Sauf que je suis revenu, l’âge aidant, de ces considérations hâtives. La création – par quoi tout a commencé – y échappe continûment… et ce qui nous fait autres que simples fétus ballottés aux quatre vents : là même où l’espoir nous tourne la tête à la manière des tournesols, qui firent rêver le peintre. La raison vient après, toujours après. Elle ne fait qu’habiller la lumière amoureuse de l’aride jour blanc. »
Le Temps des yeux
Mandala de sable
où les palais des divinités
fleurissent à l’instar
d’anémones solaires
Ici soient préservées les images
de la pensée substantielle
innervées par le tissu de la voile
grandement déployée
Si sensible la vision de ce champ
qui s’étend hors du monde
iris jaunes et jeux de la foudre
après la première systole
Terrasses et jardins miroitements
pour libérer à la périphérie de l’énigme
le moi dérobé dans l’ombre blanche
cherchant son sens et son objet
p.15
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Lettres à Gaëlle
III
Arrivée là parmi nous qui sommes
un peu de ce grand tout
à lui-même livré
avides d’une éternité
comme l’amande de silence
contient l’équation de son mystère
dans les surgissements de la conscience
se profilerait l’ange en patience celui du Fra
j’ouvre avec force mes paupières
pour que s’y diffracte
sur l’écran élargi de l’avant-scène
une flopée de photons soufflés
à la croisée des chemins
entre le corps et le monde en gésine
dans la giration du temps
qui sans fin se distend
de l’intérieur et de l’extérieur tout à la fois
Conquis par les images offertes
et les tisseries du chèvrefeuille
à la fenêtre de l’été
je te regarde encore
associe les lignes nervurées de tes mains
aux desseins des rosiers grimpants
sur le treillis de la façade
dans le bleu chaviré du grand Fond
qui t’a vue paraître
en ce mardi dont j’ai gardé
au creux des paumes
la flamme vive indivisible
qui jamais ne brûle
que dans l’euphorie de ses propres couleurs
p.26
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Lettres à Gaëlle
IX
C’est pour toi que j’écris ma douce
Hiver touche à sa fin maintenant
avec des mots venus je ne sais d’où
des coraux cervicornes des fibules de cuivre
miment les mille langues muettes
des nuages ébouriffés
Printemps abrite d’impossibles clefs
ouvrant sur le vide
sous les pas de l’Architecte
son nom demeure gravé sur les solives
sur tes abîmes se rie de nous
et de nos vieilles poésies éteintes
écoute vois ces joueurs attablés
dont les regards semblent nous suivre
dans chacun de nos gestes
ils font retentir consonner
ma vie la tienne délivrées
Tu as neuf mois tout juste en ce jour
les dix bras de la nuit ont soufflé la berceuse
au son de laquelle tu t’es endormie
prise dans le tourbillon au loin
dans l’arbre artériel
toutes les pensées défaites
au pied d’un château d’une cathédrale
Peut-être que la ville entière
tourne un peu sur elle-même
avec les pousses des premiers crocus
avec la fièvre des palais
où nous avons rêvé de marcher
avec la lumière marine où s’anime
l’oiseau à tête bleue
dans le crépuscule du matin
à quoi penses-tu dis-le moi donc
et que mon esprit devienne
celui qui repose en toi
laissant paraître dans l’arrière-fond
les mouchetures des fils d’épeire
quelques tuiles brisées
et les dernières nouvelles du monde
dans la campagne nue
où piaffent des chevaux bais
p.44
Bibliographie partielle
- Daniel Martinez, Le Temps des yeux, © Le lavoir Saint-Martin, 2016
Internet
- Dans La Pierre et le Sel : La revue Diérèse – Un entretien avec Daniel Martinez
- Le blog de Diérèse et les Deux-Siciles
- Les éditions Le lavoir Saint-Martin
Contribution de PPierre Kobel
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