Il a le dos au mur
le voyageur il marche à contre
sens et son œil est rivé-fixé
comme ça vient
aux fuyants frais labours
portiques d’acier sapinaies à layons
pavillons silex et meulière étriqués et fumeux
empans de glaises silos silos silos
lit bourbeux d’un fleuve à tortillons
ray-grass maigres un arbre quelquefois
sec et patibulaire hampes plumées mâts
dégarnis boqueteaux boqueteaux ferrugineux
dans les méconnaissables automnes
rien de neuf somme toute et tout
dans les siècles des siècles
sous l’heureux désordre
l’ombre hercynienne
les massues de suie du ciel nu rompu
*
le petit d’homme que son membre
rigide et l’embrasant désir
inopinément turlupinent
s’enchante à l’amoureux vertige
et pour le fêter vide
un flacon d’âpre vin violet
plus tard il rêve au rivage
il va
tomber très haut
en arrêt tourne
sa face aux souffles et crache
il s’étonne — rien pourtant
n’est jeune il le sait — d’un chien jaune
hirsute jouasse qui jappe au flot
tente mordre la vague
et le vent le rebrousse
l’implacable
la mer rue tousse
nul ici n’ignore
l’importance des petits riens
la fragilité vaguement lumineuse
l’éternité fossile des étoiles
et ce qui reste à rire et chanter
c’est la ténèbre toute crue
5 mars 2009
In Désordre du jour, © Gallimard, 2016, p.20
Il est des poètes qui, pour répondre aux questions de l’existence, choisissent un chemin d’écriture empreint de gravité et parfois de désespoir. « Et dans un tout modeste coin du paysage géant en malouinoscope, un tout petit bonhomme, puce narquoise, râleuse, émerveillée. Les mains dans les poches, il regarde cette grande étendue d’eau, de landes, de bourrasques, cet univers prêt à ne faire de lui qu’une seule bouchée. Et il demande, Droguet (à l’océan ? à Dieu ? à qui ?) : “Est-ce que vous pourriez me dire ce que je fais là ?” Mais le vent souffle si fort que la réponse se perd dans le naturel fracas de la nature. » écrivait Claude Roy à propos d’Henri Droguet dès 1980. Henri Droguet, à l’image d’une nature instable et imprévisible, tord la langue, la pousse dans ses retranchements, lui impose des césures au bord du déséquilibre sans jamais renoncer à la simplicité et à l’accès pour tous, loin des formalismes élitistes et restrictifs. Les encouragements qu’il reçut de la part d’Aragon, Claude Roy, Jean Follain, André Frénaud, Jacques Réda, Guy Goffette ou de Jean Grosjean suffisent à dire la place unique de son écriture quand vivre ne suffit plus.
LA NUIT énième
bonnement puante est la nature
où l’oblique pluie temporéternelle
rayante grise et bénite
retombe aux goitreux spectres
couenne os et flanelle
roucouleurs de miasmes et de chicots
on les rentend distraitement qui déchantent
mais leurs badaboums à la fin
ça nous lasse
et déjà les tic-tac commencent
partout dans tous les a-
zimuts s’évitent se tamponnent
s’enquillent des protons
celui qui qui qui celui
qui fut qui sera
la proie des chignonnants nuages
et des barbues nébuleuses
l’enfant ribotant sabotant dans l’aube
marche à la tournante neige
et les tourmentantes onglées
l’audible vent buccinateur
trompette aux quatre coins
aux rues sales aux pissoirs
ça roule à la futaie violette
aux dégingandés baliveaux
à la triste mer et la ritournelle
à l’estran jetée du contrarié reflux
justes vertiges songe l’enfant déambulateur
tout fait centre autour des lointains
et devant c’est le bout la fin
de tous les mondes possibles et pas
la matière est inadmissible
la stupeur désormais nous attend
Saint-Georges-du-Bois
11 mai 2013
In Désordre du jour, © Gallimard, 2016, p.115
Internet
- Page Wikipédia
- Page Wiki Poèmes
- Une fiche de la Poéthèque
- Tisseur de mots | rencontre avec Henri Droguet
- Pierre Campion |
- Henri Droguet ou les extérieurs de la vie
- Comment j’ai écrit certains de mes poèmes (essai)
Contribution de PPierre Kobel
Bonjour,
Ceci n'est pas à proprement parler un commentaire, mais plutôt une sorte d'accusé de réception à retardement!
Il ne faut pas compter, lorsque l'on est poète, sur le service de presse de Gallimard pour être informé des recensions et commentaires publiés où que ce soit. C'est donc aujourd'hui que je découvre, par le plus grand des hasards, ces quelques lignes flatteuses dont je vous remercie bien chaleureusement.
Et bravo, au passage, pour votre site.
Henri Droguet
Rédigé par : Henri DROGUET | 17 novembre 2018 à 13:24