Il aura fallu dix ans à Françoise Delphy pour traduire l’ensemble des poèmes d’Emily Dickinson et il n’est pas besoin de connaître l’anglais de l’auteur pour mesurer quelle entreprise ce dut être. Si Emily Dickinson n’eut pas de son vivant la reconnaissance qui est la sienne aujourd’hui, la recluse volontaire qu’elle fut n’en exprime pas moins des passions « avec à la bouche la violence des fraises écrasées » comme l’écrit Guy Goffette dans son Éloge pour une cuisine de province. Cette écriture métaphorique, elliptique, est toute de tension et de densité.
J’ai au printemps un Oiseau
Qui chante pour moi —
Il séduit le printemps.
Et tandis qu’approche l’été —
Et qu’apparaît le Rose,
Mon oiseau s’en est allé.
Pourtant je n’en ai point chagrin
Sachant que cet Oiseau mien
Bien qu’envolé —
Apprend au-delà des mers
Une mélodie neuve pour moi
Et reviendra.
Solidement saisis par une main plus sûre
Et retenus par une Terre plus vraie
Habitent les miens —
Et même s’ils s’en vont maintenant,
Je dis à mon cœur qui doute
Ils t’appartiennent.
Dans une Clarté plus sereine,
Dans une lumière plus dorée
Je vois
Chaque petit doute et petite peur,
Chaque petite discorde
Abolis.
Alors point n’aurai chagrin,
Sachant que cet Oiseau mien
Bien qu’envolé
Me renverra de son arbre lointain
Lumineuse mélodie
Rien que pour moi.
In Poésies complètes, © Flammarion, 2009, p.23
Traduction par Françoise Delphy
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J’ai soupesé ma vie de mes deux mains
Pour voir si elle était bien là —
J’ai exhalé mon souffle sur le Miroir,
Pour la prouver plus que possible —
J’ai tourné mon Être dans tous les sens
M’arrêtant, observant son poids
pour demander le nom de son Propriétaire —
Au cas où j’en reconnaîtrais le son —
J’ai jugé mes traits — dépeigné mes cheveux —
Effacé mes fossettes, et attendu —
Si leurs yeux pétillants — me répondaient —
Je pourrais être convaincue, de moi-même —
Je me suis dit, « Courage, mon Amie —
Ça c’était — jadis —
Mais pourquoi ne pourrait-on apprendre à aimer le Ciel,
Tout autant que notre Vieille Demeure d’ici-bas » !
In Poésies complètes, © Flammarion, 2009, p.327
Traduction par Françoise Delphy
Bibliographie partielle
- Emily Dickinson, Poésies complètes traduit de l’anglais par Françoise Delphy, © Flammarion, 2009, 1472 pp
Internet
- La page Wikipédia
- La fiche du film Emily Dickinson, a Quiet Passion de Terence Davies
- Une recension sur Sens critique
- Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ? par Thierry Guinhut
Contribution de PPierre Kobel
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