Certes ces suites nantaises composant un portrait de la ville ne sont pas des poèmes. Mais Marie-Hélène Prouteau est aussi familière de la poésie que de sa ville, et c’est avec une prose gorgée de la première qu’elle se promène dans la deuxième.
Nantes, ville de pierre.
Dans les villes de Touraine ou d’Anjou, le tuffeau règne en maître de la lumière. À Nantes, il doit composer avec le granit janséniste. Il s’empanache parfois de la brique rouge. Comme dans la façade rénovée du très classique lycée Guist’hau où le tuffeau se rehausse de ce rouge troublant comme un maquillage interdit. Éclat de gaieté inattendue dans ce bâtiment copie, trait pour trait, du lycée de Diabolo Menthe. Il ravive le souvenir d’une adolescence et ses impressions douces-amères. Le figement triste de la pierre qui ferme tout horizon dans l’enfilade de la rue adjacente. Les salles de cours austères où passent des fantômes de lycéennes en longues blouses écolières pathétiquement uniformes. L’explosion revigorante d’un chahut clandestin où, quelques instants, se libèrent les cœurs.
In La ville aux maisons qui penchent, © La Chambre d’échos, 2017, p.9
Nantes, ville d’eau.
Île de Nantes, les Anneaux de Buren. Une pause, l’envie de rester là, longtemps, à regarder. Plantés à intervalles réguliers, ces arceaux font un singulier balisage le long du quai des Antilles. À travers ces hublots imaginaires, c’est une ville infiniment mouvante qui saute au visage. L’eau de la Loire y joue avec l’air, l’air y joue avec la lumière. Les yeux éblouis captent les clapotis contre les pontons, les grands remuements d’air, la brise de l’estuaire qu’on sent déjà. Dans cette perspective de Buren, tout bouge, vibre, change sans cesse, nuages, mouettes, vent, palpitations de la marée. Ici, le corps de pierre et le corps liquide de la ville ne font plus qu’un.
In La ville aux maisons qui penchent, © La Chambre d’échos, 2017, p.25
Nantes, ville d’océan.
Entre eau douce et eau salée, Nantes sera une ville où l’on est fait de pierres de fleuve et de galets marins. Une princesse des mélanges, à la vie emplie de choses marines, cordages, sextants, anémomètres, cornes de brume. Cuivres rutilants qu’enfant, on contemplait sur les quais du port nantais, les yeux rivés aux devantures des boutiques d’accastillage. Les mêmes objets de quincaillerie navale qu’aux vacances on retrouvait, dans l’émerveillement, sur les quais de Brest, Audierne ou Roscoff. Alignés dans les vitrines, ces accessoires dessinaient une continuité fluide, fleuves, mers, océans. Ils étaient les talismans d’une vaste machinerie par où tout commençait, des chemins qui partent dans le monde.
In La ville aux maisons qui penchent, © La Chambre d’échos, 2017, p.38
Au fil de ces parcours entre rêve et réalité, Marie-Hélène Prouteau trace des itinéraires où se croisent les gens et les lieux, l’histoire et la mémoire personnelle. Au cœur de sa quête, les mots et les livres pour dire ce qui parle au-delà d’elle-même.
Les livres sont des êtres curieux. Ils nous font faire des détours de haute circulation de vie. Ce n’est pas vers le quartier Saint-Clément sous l’Occupation ni les rues de Nantes en 1945 qu’emporte cette lecture. Mais vers le désir de creuser dans cette enfance qu’une part de nous habite encore. Des retrouvailles avec la petite âme adolescente qui regarde derrière la vitre la longue rue sans grâce d’autrefois. Peut-être de quoi y voir clair dans son histoire. Toujours se retourner, hésiter, tâtonner, retenir son souffle. Un éveil venu de cette autre vie circulante qui passe dans ces pages. Qui sait ? Y trouver peut-être l’humus où s’épanouiraient les mots. Ces grandes fleurs vénéneuses et guérisseuses à la fois.
In La ville aux maisons qui penchent, © La Chambre d’échos, 2017, p.66-67
Internet
- Dans La Pierre et le Sel : Recueil : Marie-Hélène Prouteau | La Petite Plage
- Une présentation sur le site de La Chambre d’échos
Contribution de PPierre Kobel
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