Jamel Eddine Bencheikh est décédé en août 2005, mais il est de ces auteurs dont la parole se prolonge bien au-delà de sa disparition. Né au Maroc, il fit ses études en Algérie où il vécut les premières années de l’indépendance. Il revint en France pour fuir un régime et des dérives qu’il condamnait. Ami de Jean Sénac, il lui dédia ce poème au lendemain de son assassinat.
ainsi réciter ton poème
pour Jean Sénac
Au faîte de notre mur desceller notre nuit
rouvrir notre porte à la mer
laisser entre nos hanches palpiter la rivière
descendre sous le temps comme en un puits
pour étoiler ses eaux de nos mains
réinventer chaque pétale
et le poser comme une offrande
à la lisière fragile du jour
Ainsi nous tomberons vers le sol avec la lente
pesanteur d’une feuille
nous défierons le vertige de l’équilibre
nous nous reproduirons à l’infini
Vers tous la persistance de ton hémorragie fertile
15 novembre 1973
Jamel Eddine Bencheikh était un érudit. Professeur de littérature médiévale à la Sorbonne, il fut avec André Miquel le traducteur des Mille et une nuits dont il eut le temps de voir la parution. Cette traduction est devenue une référence de ce texte universel.
L’universitaire qu’il était ne laissait pas pour autant la parole de l’homme engagé au vestiaire. Fort de convictions solides en faveur des droits de l’homme et de la liberté d’expression, il s’est vivement opposé à l’islamisme et à l’intégrisme religieux sous toutes ses formes. « La tolérance ne relève pas de l’âme et de ses bons sentiments, elle est un devoir non discutable de l’intellect. » affirmait-il. Il écrivit une série d’articles et de chroniques dont la tenue reste d’actualité.
Nous avons tenu recluse
L’énigme
Sans confier un seul verset
Sans trahir aucune des initiales
nous couchions chaque soir
Avec un miracle
Trop jeune pour nous surprendre
O ma tempête d’être sage
O maléfique
Quand ton parfum ose
De toi profonde où se pose
La main
Dire l’aveu
In L’Aveugle au visage de grêle – © Jacques Brémond, 1999, p.86
Sa poésie nourrie de son immense culture ne cesse d’interroger, d’aller au cœur de l’humain et de dire l’altruisme et le respect de l’autre. Conscient de la violence du monde et des risques grandissants qu’il court, il n’a cessé de proclamer en polémiste et en poète, l’esprit de résistance nécessaire pour un avenir meilleur.
Partout se hâtent les monstres
Les uns ont de vieux masques familiers
et la mâchoire éteinte qui ne mord
que par sournoise habitude
mais qui tient le temps prisonnier
sans le laisser monter aux étoiles
Les autres ont même face
Jeunes ceux-là qui clament leurs versets
hagards
La main déjà allumée
Ils ont traduit le Livre dans leur langue
Là où Il chantait la tendresse
Eux lisent la terreur
Là où Il gémissait de pitié
Eux entendent le meurtre
Avec ses sourates
ils construisent des prisons
Et chacun de leurs souffles lance
une fumée
qui court noircir le soleil
In Cantate pour le pays des îles – © éditions Marsa, 1997, p.12
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Je te tiens comme un grain de pollen
un flocon d’amandier
La moindre hâte risque d’imiter
la rafale
et te lancer vers l’espace
conduire l’ami fragile
vers ton nouveau nom
Alors je referme les doigts
et tu disparais dans ma nuit
In L’Aveugle au visage de grêle – © Jacques Brémond, 1999, p.63
Bibliographie partielle
Poésie :
- Le silence s’est déjà tu, Rabat, Smer, 1981
- L’homme poème, Actes Sud, 1983
- États de l’aube, Rougerie, 1986
- Les mémoires du sang Rougerie, 1988
- Transparence à vif, Rougerie, 1990
- Alchimiques, Poëgram, 1991
- Déserts d’où je fus, Tétouan, 1994
- Lambeaux, Paris, 1995
- Parole montante, Tarabuste, 1997
- Cantate pour le pays des îles, Marsa éditions, Paris, 1997
- L’aveugle au visage de grêle, Jacques Brémond, 1999
Les éditions Tarabuste ont publié en 2002, 2003 et 2010 trois volumes des œuvres poétiques complètes.
Internet
- Wikipédia
- Wikimonde
- « Parcours d’un poète » par Ali Chibani dans la Plume Francophone
- Un article de Mohamed Aissaoui sur poésie-amour.com
- Un hommage de Jean-Marie Barnaud sur remue.net
Contribution de PPierre Kobel
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