L’épitaphe
J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années
Je suis mort. Je vivais, non déchu mais traqué.
Toute noblesse humaine étant emprisonnée
J’étais libre parmi les esclaves masqués.
J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre.
Je regardais le fleuve et la terre et le ciel
Tourner autour de moi, garder leur équilibre
Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel.
Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ?
Regrettez-vous les temps où je me débattais ?
Avez-vous cultivé pour des moissons communes ?
Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ?
Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.
Ce poème et celui qui conclut la publication font partie du choix de textes de Desnos que fit Pierre Seghers pour son ouvrage La Résistance et ses poètes. On sait la place essentielle qu’occupe Robert Desnos dans la poésie du Vingtième siècle et je l’évoquais encore récemment à l’occasion de la parution du roman de Gaëlle Nohant, Légende d’un dormeur éveillé. S’il en était besoin, cette importance ne fait qu’être mise en exergue avec le roman d’Ysabelle Lacamp, Ombre parmi les ombres, que publient les éditions Bruno Doucey. Récit des derniers jours du poète, il mêle le rire à la tragédie, l’espoir à la déchéance physique, il dit ce que fut cette résistance dont Seghers écrivit l’histoire et que Desnos porta jusqu’à sa toute fin. Dans le camp de Terezin, un jeune garçon fait sa rencontre et devient son confident : « Kuba, Kuba, dans les pires moments, écoute, écoute la poésie, elle est vraiment le cheval qui court, qui court, qui court au-dessus des montagnes… Regarde les cigognes s’envoler comme des drapeaux et souviens-toi, la mort m’est indifférente ! »
Demain
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
In Destinées arbitraires
Bibliographie partielle
- Ysabelle Lacamp, Ombre parmi les ombres, © Bruno Doucey, 2018
- Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, © Seghers, 2004
- Gaëlle Nohant, Légende d'un dormeur éveillé, © Héloïse d’Ormesson, 2017
Internet
- Éditions Bruno Doucey
- Le camp de Terezin
- La Pierre et le Sel : Robert Desnos | « Légende d’un dormeur éveillé »
Contribution de PPierre Kobel
Commentaires