Je me souviens du Nil, chargé d’histoire,
on y menait les défunts sur la rive gauche,
Je t’ai transporté en felouque sur ce versant funèbre,
il y a tantôt un siècle,
le croirais-tu, mon père, dans une douleur longtemps muette.
Jamais, durant dix années, nous n’avons parlé de toi
avec ma mère,
Je n’aurais pu, quelque chose s’était brisé en moi.
Il m’a fallu atteindre l’âge de ta mort pour cesser de rêver de toi.
Pourtant je me souviens de tes leçons :
« On ne renonce jamais.
On lutte jusqu’aux dernières foulées.
Jamais on n’est vaincu au cœur de soi-même. »
Depuis j’ai vécu par des chemins peu courus, semés de charniers, d’amis perdus,
de rencontres inoubliables.
À des années-lumière de ta mort, je rêve de toi à nouveau,
par une de ces nuits moites de mousson.
Je t’entends dire « j’ai rêvé de Tamitza ! »
La petite cousine dont tu étais amoureux.
Tamitza avait treize ans quand elle a été assassinée,
en 1915, avec tous les autres.
Père, que j’ai tant aimé et qui m’a tant donné,
tu es le fil me rattachant à ce passé,
murmuré par les vieilles de mon enfance.
Cette geste qui me fonde,
celle de ton frère aîné, mort dans une cité montagnarde,
après un long siège, les armes à la main,
en paix.
On ne se rend pas.
In Feu nomade et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 2016
Internet
- Dans La Pierre et le Sel : Un jour, un texte : Gérard Chaliand | Mes yeux n’ont qu’un chemin…
- Gérard Chaliand — Wikipédia
- Gérard Chaliand, le géopoliticien sur Diploweb
Contribution de PPierre Kobel
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