Se remet-on d’une blessure d’enfance ? Dans ce livre, Tristan Cabral fait le récit de son existence. Mémoire au plus près des douleurs anciennes et des révoltes permanentes, mémoire de l’enfance et genèse d’une existence multiple.
« Exilé dans les miroirs, je cherchais à savoir à qui je ressemblais. J’aurais eu un visage si j’avais eu un père. Les jours de foire, j’aimais jouer aux loteries et surtout entendre “pair, impair, et passe, rien ne va plus, les jeux sont faits”. Moi j’entendais “père, un père, efface”. »
In Juliette ou le chemin des immortelles, © cherche midi, 2013, p.34
Et au cœur de cela, très tôt le creuset fondamental des mots qui lui permettront de dire avec exaltation et lyrisme autant qu’avec conviction ses espoirs et ses défaites, qui lui permettront la dénonciation des insoutenables oppressions collectives et personnelles.
« C’est Sarlat que le mystère des mots m’a été révélé. Il m’a été révélé par un instituteur merveilleux, M. Antoine de Calbiac, dit “Toutoune”. Le mercredi, entre douze et treize heures, il fermait la classe. C’était en septième. Il tirait les rideaux. Il ouvrait le tableau vert à deux battants, comme un livre, et il écrivait un poème d’une écriture magnifique : Hugo, Vigny, Verhaeren, Rimbaud, Prévert, Samain et d’autres que je n’ai jamais oubliés. J’avais dix ans. À quatorze heures, c’était le miracle. Le secret des mots m’était révélé. Quand j’ai lu “Les Effarés”, j’ai pleuré. Toutoune m’a demandé pourquoi je pleurais. Je n’ai pu que répondre : “Merci, m’sieur, pour les mots.”
J’étais sauvé. Je savais tout. Les mots, c’était le vrai monde. Ma famille n’existait pas parce qu’elle n’avait pas les mots. Mon cahier de poèmes, illustré par Juliette, je voulais l’emmener jusqu’au ciel. J’avais compris. Comme Arthur, je serai poète. De ce jour, j’ai dévasté l’armoire de livres, au fond de la classe, jusqu’au Génie du christianisme de Chateaubriand. Enfin, j’étais moi. Dans ma vraie famille. Je ne regardais plus le monde par une fente. Je savais qu’il était désormais dans les livres. Alors il fallait tout lire, TOUT ! »
In Juliette ou le chemin des immortelles, © cherche midi, 2013, p.43-44
Aujourd’hui Tristan Cabral n’est plus. Son enfermement a pris fin le 22 juin dernier. Mais la page n’est pas tournée. Les pages ! Celles de ces recueils qu’il nous laisse et qui ne cesseront de dire qui il fut, qui il reste et combien sa langue est nécessaire.
Requiem (en souvenir d’Anna Akhmatova)
Si je meurs seul
s’il n’y a personne
pour me conduire en mer
ou me coucher dans les genêts d’Aigoual
s’il faut que j’aille au cimetière
je voudrais que ce soit dans celui d’Arcachon
sur une dune ensoleillée
près de la Ville d’Hiver
je voudrais qu’on m’habille avec ce velours noir
que je garde en lieu sûr
d’une chemise blanche avec un foulard rouge
qu’on mette dans ma poche une pipe d’Irlande
avec du tabac blond
un petit miroir doré
le Rimbaud bleu de poche 498
sans oublier un sac marin, une paire de rames, une bouée
de sauvetage et un bouquet d’immortelles
J’attends la Vague immense qui m’ouvrira les yeux…
In Ouvrez le feu ! © Plasma, 1979
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Contribution de PPierre Kobel
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