La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise,
il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente et la colonne vertébrale qu’elle est pour aller au-delà du discours quotidien, du réel. Pour se laisser ravir et ravager.
Le monde. Le monde est petit comme une orange. Il est incroyablement compliqué et d’une absolue simplicité. Le monde peut être remplacé, recréé, anéanti par les mots. Il existe de l’autre côté de la fenêtre, ce qui est une autre façon de dire qu’il n’existe pas. Ce qui existe : la flamme de la bougie, le chien à ses pieds, les draps de coton, les fleurs de jasmin aplaties entre les pages des dictionnaires, qui dorment entre le mot jardin et le mot journée, les braises dans l’âtre, les poèmes qui palpitent dans le tiroir. Le monde est noir et la chambre est blanche. Ce sont les poèmes qui l’éclairent.
In Dominique Fortier, Les villes de papier, © Grasset, 2018, p.151
Emily Dickinson
Si Nos Meilleurs Moments duraient –
Ils supplanteraient le Ciel
Que peu se procurent – et non sans Risque –
C’est pourquoi – ils ne sont pas donnés –
si ce n’est pour nous stimuler – en
Cas de Désespoir –
Ou de Stupeur – Ces moments –
Célestes servent de Réserve –
Un Don du Divin –
On est Sûr quand il Vient –
Qu’il partira – et laissera l’Âme éblouie
Dans ses Chambres désertées –
In Poésies complètes (1863), © Flammarion, 2009
Traduction par Françoise Delphy
La poésie est toujours une langue étrangère. Pour qui parle et lit en français, la poésie anglaise est doublement étrange, un pays deux fois inconnu.
D’abord on ne sait rien. Ensuite on sait qu’on ne sait pas – la moitié du chemin.
Puis les mots et les images reviennent en boucle, on les retrouve comme des rêves à demi oubliés dont la signification continue de nous échapper. Ce sont eux qui nous apprennent ce qu’ils veulent dire. Ce sont eux qui se rapprochent du lecteur, prudemment, pour l’apprivoiser. Bientôt on parcourt les poèmes comme une forêt, mystérieuse à jamais, mais dont la pénombre est percée de sentiers et de rayons de lumière. Bientôt on se met à habiter cette forêt, dont on reconnaît les oiseaux et les créatures, les étangs noirs et les grands arbres. Bientôt, bientôt cette forêt se met à pousser en nous.
In Dominique Fortier, Les villes de papier, © Grasset, 2018, p.170
Bibliographie partielle
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Dominique Fortier, Les villes de papier, © Grasset, 2018
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Emily Dickinson, Oeuvres complètes bilingues, © Flammarion, 2009 -- Traduction par Françoise Delphy
Internet
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La Pierre et le Sel | Emily Dickinson
Contribution de PPierre Kobel
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